Il y a dans le fait de glisser dans cette caisse de bois de grands morceaux de papier ou, en certains endroits, d’utiliser un crayon optique pour choisir telle ou telle liste ou un nom plutôt qu’un autre, une solennité, de la part de ceux qui consacrent à ce rituel obligatoire, qui ne laisse pas, à chaque fois, de m’étonner. Comme si ce geste, qui se répète pour chacun de nous à intervalle régulier, était chargé de je ne sais quel pouvoir magique et porteur de significations vaguement occultes. Déjà, l’organisation de l’espace des classes d’école où se tiennent les scrutins, la longue table devant laquelle sont installés les assesseurs, les isoloirs drapés de tissus, le silence à peine rompu par de discrets chuchotements, ont pour effet de donner à ces lieux somme-toute parfaitement banals, comme un air de temple dédié à des divinités ombrageuses qu’il s’agirait de ne pas heurter et qui exigeraient de nous respect et dévotion. De la même manière, il est bon d’observer que les ministères et les hémicycles où les élus du peuple débattent des questions du jour, plus ou moins graves selon les circonstances, sont des édifices généralement très imposants, gardés par des policiers ou des militaires, qui veillent à ce qu’aucun intrus ne s’avise d’en franchir les portes. Car, n’est-ce pas, ne nous leurrons pas ; les tapes dans le dos, les connivences de façade, ce côté «près des gens», l’apparente attention à leurs problèmes et à leurs préoccupations pendant les campagnes électorales, ne doivent pas nous cacher que, le moment venu des choses enfin sérieuses, les prétendants aux responsabilités et donc, au pouvoir, prendront très vite la figure de ceux qui, loin au dessus de la mêlée où le bon peuple continuera d’entretenir ses pauvres et vaines illusions, se mueront en lointains et dédaigneux gestionnaires de la chose dite publique. Et l’on verra que la mise en scène et en spectacle des confrontations de la campagne, avec ses outrances, ses fausses ruptures et ce semblant de consensus à propos de tout et de n’importe quoi, aura vite fait place aux nécessaires compromis, aux ralliements les plus étonnants quand ce ne sera pas à de surprenants mais habituels reniements de la parole donnée. En passant, je me dois aussi de dire qu’il y a, dans le paysage politique de ce petit pays, des exceptions notoires. Suivez mon regard. Au reste, si nous voulons y réfléchir un peu, il ne peut nous échapper que, pendant une période qui risque d’être longue, nous serons, proprement, sous l’autorité d’un gouvernement chargé des affaires courantes, d’une équipe qui donc, au sens strict, ne gouvernera plus, ne promulguera ni ne fera plus appliquer aucune loi ni directives. Et pendant ce temps là, pour nous, la vie continuera d’aller son cours; les gens qui travaillent continueront de travailler, les rêveurs de rêver, les amoureux de s’aimer, les enfants de grandir, les amis de se réunir; enfin, on ne risque pas de voir se manifester la moindre impatience de la part d’une opinion publique largement indifférente quand elle ne semble pas tout à fait inexistante. C’est donc que, par ce côté, on pourrait imaginer pouvoir parfaitement se passer de gouvernement, du moins sous la forme de celui auquel nous sommes, par la force des choses, soumis et contraint d’obéir. Car si, selon le mot fameux, la démocratie parlementaire est le moins pire des systèmes politiques, d’autres façons d’être ensemble sont encore et peut-être, plus que jamais, à expérimenter. Mais c’est une autre histoire. Qu’il nous resterait à écrire…
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