vendredi 20 février 2009

26 janvier 2008

Johnathan Swift, qui ne manquait pas d'humour, suggèrait, dans un texte célèbre, que les enfants des pauvres d'Irlande, plutôt que, de toute manière, mourir très tôt d'inanition ou devenir de vilains chapardeurs et délinquants, soient tout simplement achetés à leurs infortunés géniteurs et, après abattage, vendu comme viande de boucherie. Selon lui, les jeunes bambins, sortis à peine du sevrage en lait maternel – qui ne coûte rien – ne pouvaient que constituer la base de plats agréables et variés, selon la fantaisie et l'imagination des cuisiniers et des ménagères de la bonne société. Devant l'actuelle et exponentielle montée de la paupérisation de couches de plus en plus larges de nos sociétés d'abondance, il y aurait là de quoi réfléchir sereinement à la manière de mettre un terme à ce fâcheux état de fait. Car enfin, devant l'irrésolution de ceux qui commandent et imposent partout les dures mais irréfutables lois du marché, devant, aussi la résignation de ces nouveaux pauvres, selon la formule désormais en usage, il faudra bien que l'on trouve les moyens qui permettraient de remédier radicalement à un phénomène qui, dans un monde aussi peu soucieux de morale que d'efficacité pratique, ne peut continuer à s'étendre indéfiniment. Aussi bien, je me permets de suggérer à ceux qui ont la lourde responsabilité de l'ordre et du bien être public, de commencer par regrouper en des lieux éloignés des grands centres urbains, les familles et les individus les plus touchés par la misère. Ce pourrait être des manières de camps d'internement, au confort tout relatif, bien sûr, avec baraquements pourvus des plus élémentaires structures sanitaires, salles de réunion, dortoirs, infirmerie, salle de spectacle et, pourquoi pas, de cinéma, enfin, le strict nécessaire à une vie communautaire dont la surveillance et la discipline seraient assurées par des gardiens recrutés au sein même de la population de ces unités de regroupement, on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Bien évidemment, il s'agirait d'exiger de ces gens qu'ils s'adonnent résolument à des travaux d'intérêt général, comme de plier à longueur de journées des papiers officiels et les mettre sous enveloppe, fabriquer des caisses de carton destinées à recevoir telle ou telle marchandise, mais aussi, qu'ils veillent à la propreté des lieux communs, à l'entretien des quelques espaces verts et aires de jeux mis à la disposition des résidents et autres menues occupations sans lesquelles, on ne le répètera jamais assez, aucune vie humaine n'est digne de ce nom. Il n' échappera à aucun de nos dirigeants que l'intérêt de telles mesures, sévères, certes, mais salutaires, réside essentiellement dans le fait que, dès lors que seront ainsi mises à l'écart ces foules d'indigents, le visage de nos villes et de nos campagnes changera du tout au tout. Les heureux et honnêtes citoyens-travailleurs n'auront plus à subir le lamentable spectacle de misérables loqueteux incapables de s'adonner aux joies du shopping et de la mobilité, partout ce ne seront que visages épanouis et joyeux, enfants roses et dodus revêtus d'habits à la dernière mode, prestigieuses et coûteuses automobiles se disputant le passage dans les avenues bordées de commerces rutilants; le paradis sur terre, ou presque. Maintenant, on pourrait aussi fort bien imaginer que, partout dans le monde civilisé, on en arrive à des solutions plus radicales encore. Qui consisterait en l'élimination pure et simple de la misère; qui ne pourrait passer que par l'élimination pure et simple des miséreux. Il suffirait de décréter que les pauvres, étant pauvres, n'aient plus droit au statut d'humains; et l'affaire serait dans le sac...


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