J’ai fait un petit voyage, la semaine dernière, jusqu’à Bruxelles, pour ne rien vous cacher. Un déplacement par le train, comme de bien entendu, qui est pour moi, avec la marche, la plus agréable manière d’aller d’un endroit à un autre. Je ne vous dirais rien des motifs qui ont présidés à cette escapade de quelques heures, cela restera, pour quelque temps encore, un secret qui vous sera révélé le moment venu. Ce que je peux vous confier, par contre, c’est l’exaltation et l’enchantement qui ne m’ont pratiquement pas quitté pendant que, accoudé à la tablette, je regardais défilé les paysages, les villages et les campagnes, les champs et les pâturages. Ici, un ruisseau, là, un bosquet et puis, dans le lointain, une infinité de nuances de verts, le bleu du ciel et quelques nuages vagabonds. Mais surtout, le long des voies du chemin de fer et bordant les prés, des coquelicots, des milliers de ces fleurs pour lesquelles j’ai, de longtemps, une tendresse particulière. Quant à vous dire pourquoi, j’en suis bien incapable. De lointains souvenirs d’enfance, sans doute, de ceux qui restent à la mémoire pour de mystérieuses raisons. Etrangement et c’est à cela que je voulais en venir, depuis le début de ce printemps, j’ai cette impression que pour cette fois, tout est allé très vite, comme si la Nature s’était trouvée pressée d’en venir au fait, de montrer qu’elle était encore bel et bien là. Je me souviens des premiers bourgeons, tôt venus, des premières feuilles tendres aux arbres de ma rue, dans les parcs et dans les sentiers et les sous bois de mes premières promenades de la saison. Et puis, en l’espace de quelques jours, j’ai vu partout éclater et se répandre une profusion, une débauche inimaginable de plantes de toutes sortes, du plus timide brindille aux parures des arbres géants. Jamais, dans mes souvenirs, je n’avais ainsi assisté à tel spectacle, jamais ne m’avait semblée plus triomphante la venue de ces milliards de témoins de l’extraordinaire et inconcevable miracle qui, depuis des temps immémoriaux, se perpétue. Bien sûr, ce ne peut-être qu’une impression, un mirage, ou bien encore ai-je été abusé par mes sens. Toujours est-il qu’il m’a semblé voir dans cette si soudaine et grandiose prolifération comme un signe que nous adressait la vie: regardez, semblait-elle dire, regardez et imprégnez vous de cela, de cette présence colossale de myriades de cellules qui se font arbres et insectes, attendrissants rongeurs tapis dans l'ombre des fourrés, vaches paisibles allongées dans l'herbe, alouettes montant vers le soleil, chats pensifs et chiens fidèle au regard mouillé. Respirez, disait encore la vie, respirez l'odeur de la terre humide encore de la dernière pluie, levez les yeux au ciel la nuit venue et voyez la vastitude des mondes lointains, saluez Vénus et Orion et la lune qui veille sur vos rêves. Voilà ce que j'ai entendu, voilà ce que j'ai vu. Et j'en viens à espérer que peut-être, un peu partout ici et de par le monde, d'autres que moi ont eu cette vision, ont senti le souffle tiède de l'appel venu des profondeurs de ce Tout, de l'immensité de l'Etre, dont nous ne sommes, nous humains, que des avatars qui avons oubliés, pour notre malheur, que nous appartenons et que nous sommes liés, indéfectiblement, à la prodigieuse et muette Présence qui de partout et de mille manières, nous fait des signes. Et le vieux Plotin l'avait bien pressenti, qui disait que «Toute vie est une pensée, mais une pensée plus ou moins obscure, comme la vie elle-même...»
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