Sans doute vais-je vous étonner mais, en ce samedi de printemps, je ne vous parlerai pas de Vladimir Poutine, ce vilain bonhomme, ni du petit Nicolas et encore moins de réchauffement climatique mais, plus joyeusement, de cinéma. Ce sera ma manière à moi de rendre un vibrant hommage à notre cher Jean-Louis qui, là bas, sous le soleil de Cannes, fait tout ce qu’il peut pour vous tenir au courant de ce qui se passe à l’avant scène et dans les coulisses du festival. Mais aussi, je vais en profiter pour, à ma manière inimitable, en revenir quelque peu à ma chronique d’il y a deux semaines, où il était question de la France, d’une certaine langueur et de Robert Walser dont la citation clôturait mes propos. Souvenez vous de ce petit bijou «Le baron de l’écluse» de Jean Delannoy, tourné en 1959, où sont réunis, entre autres, Jean Gabin, Micheline Presle et la très touchante Blanchette Brunoy, qui tient le rôle de l’aubergiste qui, secrètement et avec cette discrétion charmante, est amoureuse de Jérôme Napoléon Antoine, le héros de cette délicieuse comédie. Il y a, n’est-ce pas, cette scène adorable du dîner d’adieu que la tenancière offre au baron et au cours duquel, à pas menus, d’une merveilleuse façon, elle lui avoue ces sentiments les plus doux. Elle lui a préparé du lapin et ils sont là, tous les deux, dans ce tête à tête émouvant et Gabin, plein de prévenance, avec un tact désarmant, fait entendre à la jolie personne qu’hélas il ne pourra pas rester auprès d’elle à tenir ces lieux enchanteurs et qu’elle mérite mieux que lui pour partager son existence. Voilà le cinéma que j’aime, avec des personnages que l’on aurait envie de rejoindre sur l’écran, rien que pour les embrasser sur les deux joues tant ils sont proches de nous, tant ils sont emplis de cette humanité, de cette attention et de cette infinie gentillesse que si rarement on rencontre encore aujourd’hui. Et puis, et puis… cet autre chef-d’œuvre, de Jacques Tati, que mon père m’a amené voir quand j’avais 12 ou 13 ans, dans un cinéma du quartier où nous vivions alors. Bien des années plus tard, j’ai emmené Antoine voir «Mon oncle» et il avait le même âge que moi à l’époque dont je parle. Et il arrive encore, presque 10 ans après, qu’il l'évoque, cet oncle; qui vivait dans ce vieux quartier de Paris qui sentait un peu la campagne, avec son bistrot, ces personnages attendrissants comme le balayeur public qui, à chaque fois qu’il feint de se mettre à l’ouvrage, s’interrompt pour discuter le bout de gras avec l’un ou l’autre, prenant appui sur le manche de son balai à l’ancienne, fait de ramées. Et l’appartement de l’oncle, tout là haut de cette vieille bâtisse, la fenêtre qu’il oriente afin que les rayons du soleil éclairent l’endroit où est l’oiseau, qui chante à tue-tête. Les promenades avec son neveu, le marchand ambulant qui fait ces galettes au sucre, emballées dans du papier journal et que les enfants dévorent au milieu du terrain vague qui est le lieu de leurs innocentes facéties. Comment ne pas ressentir la joie la plus simple, comment ne pas éprouver un peu de la nostalgie de ce temps-là où un rien était cause de ce bonheur tout bête d’être seulement là, sans soucis inutiles, sans penser à l’heure qui va venir. Mais aussi, laissez moi évoquer le film de Julien Duvivier, qui date de 1936, quand la France du Front Populaire découvrait les premiers congés payés et que les parisiens quittaient leurs faubourgs, le dimanche, pour s’en aller batifoler, manger sur l’herbe et guincher sur les bords de la Marne. Où l’on voit cette bande de cinq chômeurs, heureux gagnants d’une somme rondelette à la loterie nationale, se lancer dans la réfection d’un ancien lavoir dont ils ont le projet de faire une guinguette. Que la fin de cette aventure voit nos compères se déchirer, qu’une femme soit la cause de l’ultime rupture n’enlève rien à la magistrale leçon de ce joyau du cinéma français d’entre les deux guerres. Une leçon qui nous dit ceci: oui, la vie est riche d’une infinité de possibles; oui les amours naissent et se meurent et des amitiés peuvent nous accompagner toute une vie. Oui, le temps nous est compté et nous avons à l’aménager du mieux possible; oui, il faut seulement savoir dire oui. C’est, pour moi, le plus beau mot de notre langue, celui qui nous entraîne vers l’incertain du lendemain, vers le bleu du ciel et vers les nuages. Oui, encore et toujours, oui.
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