vendredi 20 février 2009

9 février 2008

Mes derniers billets ont ici et ailleurs, des échos aussi variés que le sont les consciences de celles et ceux qui les recoivent. Quand celui-ci se réjouit de l'allégresse avec laquelle je pourfends les grosses têtes molles de la bonne pensée, celle-là se désole de ce que je ne parle plus aussi souvent des petits oiseaux et de la majesté des nuages. Comme s'il n'était pas possible d'en même temps se réjouir de la beauté des choses et dénoncer vigoureusement les contraintes de toutes sortes qui font que, pour beaucoup, la beauté même est devenue chose strictement incroyable et invisible. Il faut, n'est-ce pas, pour s'ouvrir aux phénomènes, aux évènements, aux êtres qui nous entourent, un coeur qui ne soit pas altéré par la rancoeur, l'envie ou la criante angoisse matérielle du lendemain. Et, bien qu'ayant cette chance de jouir des ressources morales et affectives qui me permettent de faire face aux difficultés qui se présentent à moi comme à tant d'autres aujourd'hui, je ne peux m'abstraire de cette réalité ambiante, je ne peux, comme le disait, il y a quarante ans, Raoul Vaneigem, être pleinement heureux dans un monde malheureux. J'étais, l'autre samedi en fin de journée, dans la file d'attente d'une des caisses de la grande surface, près de chez moi, où j'avais fait de modestes achats, le strict nécessaire, comme d'habitude. Comment décrire l'atmosphère lourde et infiniment triste qui régnait là... tous ces visages fermés, maussades, accablés de je ne sais quelles fatalités, tout autour de moi. Un silence pesant, les regards fuyants et, cette sourde mais pourtant palpable agressivité qu'un rien pourrait faire éclater, dans ces lieux où les marchandises parlent pendant que les humains sont prostrés dans un ennui colossal. Je peux bien vous le confier, j'ai eu, l'espace d'un instant, des idées de balle de revolver me perçant le coeur, tant ma tristesse et mon désarroi étaient grands. Et puis j'ai pensé au poème d'Aragon... Votre enfer est pourtant le mien - Nous vivons sous le même règne – Et lorsque vous saignez, je saigne – Et je meurs sous vos mêmes liens. Bien sûr, je pourrai en revenir et m'en tenir aux préceptes du bon Montaigne, ignorer la laideur et les souffrances autour de moi, m'attacher seulement aux pépites de bonheur encore palpables, malgré tout. Mais cela m'est de plus en plus difficile. Chaque jour apporte son lot de nouvelles, les plus folles et les plus scandaleuses; ce flot incessant venant des quatre coins du monde, pour peu que l'on sache se donner la peine d'y attacher à chaque fois l'importance ou la futilité qui convient, donne un exact portrait de ce à quoi, tous indistinctement, avons à faire face. Mais voilà, nous sommes tous, peu ou prou, dans une brume épaisse, qui vient de notre incomplétude propre. La pure et parfaite conscience de soi s'oppose au poids énorme qu'inscrivent en chacun l'éducation, les normes sociales dominantes et les aspirations collectives dictées par des lois inscrites dans un ailleurs qui a perdu toute forme de transcendance. Un contrat invisible nous lie à des conventions et des modes de pensées qui sont d'un autre âge et, de ce point de vue, nous en sommes encore, collectivement, dans la préhistoire contemporaine; de laquelle nous ne sortirons que moyennant un gigantesque et universel bouleversement d'absolument tout ce que nous tenons encore pour intangible. Mais le premier bouleversement nous regarde toutes et tous. C'est en nous, au plus profond de nos manières de voir, de penser, d'imaginer l'avenir et d'abord, de juger le présent, que les choses peuvent et doivent commencer. Allez, au boulot !...



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