vendredi 20 février 2009

8 mars 2008

Je dois tout de même attirer votre attention sur un point qui a son importance: si mon degré de lucidité et d'attitude critique autant que mon scepticisme de fonds entretiennent chez moi un pessimisme certain quant à nos destinées collectives, il se trouve aussi, d'un autre côté, que je suis tout à fait capable de trouver de la beauté là où il y en a et de penser que cette vie, la mienne, vaut et vaudra toujours la peine de continuer à être vécue aussi pleinement que possible. Du reste, je puis fort bien également, de loin en loin mais rarement, il est vrai, estimer que tel évènement, l'une ou l'autre nouvelle puisse être de nature à tempérer quelque peu la tristesse que m'inspire généralement les rumeurs du monde. Il en est ainsi de ces petites municipalités en France, en Scandinavie, ailleurs aussi, qui se lancent, avec le concours des habitants, dans des projets de village “écologiques” où tout est repensé et réévalué, où l'on voit le sol et les cultures, les habitations, les ressources énergétiques, les fondements du vivre ensemble aller vers le plus souhaitable, dans la recherche d'un accord fécond avec la Nature et les éléments. Que de telles initiatives se multiplient, qu'elles fassent taches d'huile et en viennent à montrer qu'autre chose est possible est bien sûr tout à fait réconfortant. Comme est remarquable, dans de nombreuses grandes villes de France, les efforts fait pour améliorer les transports publics, agrandir les espaces verts, réduire la circulation automobile. Certes, on est encore loin, ici, des projets qui sont à l'étude en Grande-Bretagne ou en Chine, en particulier, où les autorités ont mis en chantier la future ville 100 % écologique de Dongtan parmis les 400 qu'il faudra construire d'ici 2020. C'est que l'immense pays est confronté à des problèmes de pollution d'une extrême gravité, conséquence d'un développement économique et industriel que rien ne semble devoir arrêter et qui va peser, de plus en plus, sur son environnement au sens le plus général du terme. D'où, semble-t-il, l'attention que le gouvernement de Pékin commence de porter à ces problèmes. Et comme chacun sait, ce gouvernement est la face visible de l'omniprésent et tout puissant parti communiste qui, malgré l'ouverture spectaculaire au marché et aux initiatives privées, n'en continue pas moins d'exercer sur toutes les formes d'opposition et sur ceux qui les représentent, une sourcilleuse répression menée par l'armée et la police d'état. D'autant qu'à quelques mois de l'ouverture des jeux olympiques, il est impératif, pour le régime, d'empêcher toute vélleité de manifestation du profond mécontentement populaire sensible jusque dans les lointaines provinces. Où l'on voit que l'écologie peut fort bien voisiner avec la tyrannie. Plus insidieusement, des projets de villages écologiques “clé sur porte” qui sont ailleurs à l'ordre du jour, pourraient se voir être habités par de nouveaux riches ou, en tout cas, une catégorie de citoyens aisés, à l'exclusion de ceux qui n'ont pas accès à la propriété et auxquels seraient refusés les bienfaits d'une vie plus en accord avec le généreux projet écologiste qui se verrait ainsi vidé de sa substance. Je suis donc, en l'occurrence, en parfait accord avec ceux qui, dans un relatif anonymat, font campagne pour que le combat pour le climat ne se distingue pas des luttes sociales présentes et à venir. C'est là le sens qu'il faut donner à l'utopie constructive qu'est l'idée de décroissance. Elle est en germe dans des milieux encore peu visibles aujourd'hui mais avec lesquels il faudra, selon moi, impérativement compter pour que, vraiment et radicalement, advienne un nouveau monde.








1er mars 2008

Décidément, “on n'arrête pas le progrès”. Faisant ma revue de presse, l'autre matin, je suis tombé sur cet article, paru dans un journal bien de chez nous et dont je vous garanti l'authenticité, à propos du dérèglement climatique et d'une des manières d'y remédier. Accrochez vous. L'idée est du canadien David Keith, expert en captage et séquestration du carbone de l'université de Calgary et il s'en est expliqué à Boston, devant ses éminents collègues, lors de la réunion annuelle de l'Association américaine pour l'avancement des sciences. Pouf pouf, disait l'autre. Il s'agirait, tout bonnement, dans un premier temps de capter le vilain Co2, de le comprimer, de le liquéfier – rien de plus facile, n'est-ce pas – avant de le transporter dans des pipelines vers les fonds océaniques. Mais attention ! Pas question de laisser filer le méchant Co2 ! cela risquerait d'avoir un impact sur les écosystèmes, nous sommes tout de même prévenus. Il faudra donc, préalablement, emprisonner dans de gigantesques enveloppes en forme de saucisses et laisser gentiment reposer au fond des océans, les quelques premiers 160 millions de tonnes de gaz à effet de serre où il se tiendra bien tranquille en attendant que l'on s'occupe des milliards de tonnes restant... bon sang, mais c'est bien sûr, disait le commissaire Bourrel. Comment on passe des pipelines aux saucisses, on ne le dit pas, mais faisons confiance à nos valeureux savants, ils doivent avoir leur petite idée là dessus. La chose va faire bien plaisir à mon auditeur-contradicteur de samedi dernier. Qui me reprochait mes propos relatifs à l'argent, au capital et toutes ces sortes de choses. Il ne pourra que se réjouir en prenant connaissance de ce qui précède puisque, à imaginer que de telles extravagances puisse un jour passer du cauchemar à la réalité, il est facile d'imaginer les moyens matériels et humains qui devraient être mis en oeuvre pour réaliser ce genre de projet. Qui rencontrerait parfaitement les soucis de mon honorable détracteur, qui voit dans l'expansion sans fin des travaux de toutes sortes, dans le soucis de la chose économique, la clé de la réussite de nos belles et exhaltantes entreprises. Ce qui me paraît emblématique dans toute cette mirobolante histoire c'est que, à quelque niveau que ce soit, il est hélas évident que, concernant les solutions à metttre en oeuvre pour remédier au déréglement climatique, on prenne les choses à l'exact opposé de ce qui pourrait-être vraiment et durablement efficace. Rions à gorges déployées des invitations faites aux automobilistes de, s'il vous plaît, si ça ne vous dérange pas trop; lever le pied et respecter les limitations de vitesse, merci, c'est bien aimable à vous; et qu'est-ce que je vous sert, quelques particules très fines ? Avec ou sans glace ? C'est comme les rivières de nos belles vallées: d'abord on y déverse des cochonneries – faut bien que les usines tournent – et, par la suite, on met en place des unités de décrassage. Ce qui crée de l'emploi. Merci le décrassage. C'est, comme me le fait remarquer un complice des ondes, le mercure dans l'air bruxellois: tout va bien, pas de soucis, c'est juste un petit problème de rejet venu d'on ne sait trop où, les autorités ont les choses en main, dormez tranquille. On vous raconte des salades, on vous ment mais, bon, faut comprendre, on fait avec ce qu'on a. C'est comme les statistiques relatives au chômage. Quelques milliers de feignants foutus dehors. Des chiffres, rien que des chiffres, sans commentaires au J.T. Et on voudrait que je me taise ? Non mais, sans blague...









23 février 2008

Vous vous souvenez de ce que je disais, l'autre samedi, à la fin de mon billet... qu'est-ce encore que de vivre, aujourd'hui. Pauvres de nous, pauvres de vous, pauvre de moi. Encore que. Le plus dur est largement derrière moi. Ce temps où, par la force des choses, je devais sacrifier la meilleure part de mon existence, l'essentiel de ce temps si précieux à me soumettre aux exigences de tel petit métier ou d'un autre encore. Maintenant, eu égard à mon âge - le troisième - il m'est possible de souffler un peu et n'avoir comme seule préoccupation que les méditations et réflexions qui me donnent cette chance de vous retrouver ici, chaque samedi à la même heure. Alors, certes, oui, j'ai du temps à consacrer à d'autres choses aussi: la lecture, l'amitié, les petites promenades dans le froid de cette fin d'hiver, les caresses prodiguées à mes deux chats, l'arrosage des quelques plantes qui ornent mes appuis de fenêtre sans oublier les quelques petits soucis liés à mon jeune fils et à ses études. Et pour le reste, de longues périodes d'oisiveté et de rêveries qui ne sont pas toujours roses. Car, d'avoir le temps pour penser amène aussi un autre regard sur les choses, les êtres, la manière d'appréhender ce qui arrive, ici ou là, dans le très lointain comme dans le très proche. Le temps que je puis consacrer à essayer de voir clair dans l'énorme flux de ce qui se donne à voir et à entendre, à observer et analyser est parfois le temps d'un profond désarroi, d'une inquiétude sourde et, aussi, l'occasion de moments où, pour un peu, je laisserai une sombre colère éclater. J'ai des envies, parfois, de me lancer dans des actions du type de celle qui a vu ce jeune-homme tenter d'étaler cette banderolle, à la façade de la Bourse de Bruxelles avant que d'être emmené par les policiers. Vous connaissez peut-être la suite de cette histoire: dans l'ascenseur qui le ramenait, l'audacieux s'est retrouvé nez à nez avec le directeur de l'édifice consacré aux dieux de la finance et, pour ce que j'en ai su, les deux hommes auraient échangé un long regard qui aurait décidé le maître des lieux à se fendre d'une carte blanche dans un journal de la capitale, à l'adresse du téméraire activiste. Dans laquelle il disait comprendre le geste et reconnaître l'audace de l'entreprise. Où il disait aussi que tout cela était bien romantique mais pourtant vain. Oui, il serait vain de vouloir s'opposer de la sorte aux sombres divinités de l'argent triomphant. Il paraît, en effet, selon le directeur, que le capitalisme est une donnée naturelle, consubstantielle à notre humanité et qu'il est puéril de vouloir contester une si frappante évidence. Donc, à l'en croire et si les mots veulent encore dire quelque-chose, le Capital, l'exploitation de tous par quelques-uns, l'économie politique qui est l'argument et le faire valoir de toutes les entreprises liées, de près ou de loin, à la sphère de l'accumulation et de la spéculation seraient aussi naturels que, par exemple, les deux yeux, les oreilles, le nez au milieu de la figure et j'en passe, de tout un chacun ? On va bientôt apprendre aux écoliers que les billets de banque poussent aux arbres, que les pièces de monnaies sont plus ou moins profondément enfouies dans le sol et qu'il suffit de gratter un peu pour s'en mettre plein les poches ? Et pourtant, j'arrive encore à rire et à faire rire, à l'occasion. Mais il m'arrive parfois de sentir qu'un bon gros sanglot ferait parfaitement l'affaire. Il y a quelque temps, ce reportage télé sur les gorilles des collines, quelque-part en Afrique, le regard de ce grand mâle, qui veillait sur la tribu, qui m'a bouleversé et mis les larmes aux yeux. Comme le mince croissant de lune, l'autre soir. Comme le sourire de l'amie...







16 février 2008

S'il y a bien une chose dont je sois en droit de me réjouir, c'est d'apprendre, d'une auditrice fidèle, que quelques-uns de mes billets sont polycopiés, qu'ils circulent de mains en mains et que ce que je dis ici est commenté, discuté et parfois même approuvé. Aussi bien, je vais donc, ce matin encore, vous entretenir de ce qui me tient à coeur en ouvrant, pour commencer, une petite parenthèse à caractère cinématographique, ce qui ne saurait vous étonner outre-mesure. J'ai été voir le dernier film des frères Coen. Dont mon comparse et néanmoins excellent ami Jean-Louis Dupont à dit, ici même, tout le bien qu'il pensait. Laissez moi de vous dire que cette fable sur grand écran, par moment absolument glaçante, est une petite merveille de méditation morale qui, bien que se passant aux lointaines Amériques n'en n'est pas moins, selon moi, parfaitement universelle. Je ne peux donc que vous inviter à sauter un repas ou faire le travail buissonnier et vous précipiter vers le cinéma le plus proche, fin de la parenthèse. Et, puisque samedi dernier, je vous invitais à vous mettre au travail - au seul vrai travail, celui de l'esprit – laissez moi commenter quelques-unes des nouvelles dont vous avez sans nul doute pris connaissance pendant la semaine écoulée, cela dans le but de vous donner de quoi réfléchir. Pour commencer, cette affaire des particules fines, produites par l'industrie lourde et bien sûr, par la circulation automobile et qui, ces derniers jours ont donné quelques soucis aux responsables publics à charge de la bonne santé des braves et innocents néo-citoyens que nous sommes. A entendre ces responsables, j'ai eu, ce qui ne vous étonnera pas, la très nette impression qu'ils pataugeaient méchamment dans la choucroute et que l'assurance affichée de ce que la situation était parfaitement maîtrisée cachait bien mal un embarras pour le moins dubitatif. Ajoutons à cela la prétendue bonne nouvelle de l'ouverture de l'aéroport de Zaventem aux compagnies à bon marché, avec pour conséquences, une augmentation des vols au dessus de la capitale, l'augmentation proportionnelle de la pollution atmosphérique, sans parler des nuisances sonores et autres que subissent les riverains. Nous sommes, en l'espèce, devant un fameux paradoxe en forme de dilemne, à moins que ce ne soit le contraire. D'un côté, l'on se réjouis et l'on frétille de contentement à l'annonce de la création de quelques centaines d'emplois ici ou là et, de l'autre, on est aussi contraint de constater que ces emplois vont nécessairement de pair avec la croissance d'activités dont la plupart engendrent les graves atteintes à un environnement dont on prend paraît-il la mesure en haut lieu. Cet aspect des choses ne se limite bien sûr pas à nos petites contrées, c'est partout sur cette malheureuse planète que se pose le même problème. Des centaines de millions de gens se précipitent chaque jour qui passe vers les lieux de leur aliénation, à pied, en bagnole, en train et en métro, turbinent plus ou moins gaiement sous les ordres de petits chefs, rentrent chez eux se vautrer devant des programmes de télévision le plus souvent d'une accablante bêtise, avalent leur repas aux pesticides, insecticides, métaux lourds et autres friandises et, après un bon rot, se mettent au lit afin d'être frais et dispos pour repartir le lendemain vers de nouvelles et passionnantes aventures. Il va tout de même bien falloir que l'on se mette à très sérieusement réfléchir au sens que peuvent encore avoir aujourd'hui les notions d'expansion économique, de production et de travail. Et, plus généralement et surtout, s'interroger sur ce que c'est encore, aujourd'hui, que de vivre.






9 février 2008

Mes derniers billets ont ici et ailleurs, des échos aussi variés que le sont les consciences de celles et ceux qui les recoivent. Quand celui-ci se réjouit de l'allégresse avec laquelle je pourfends les grosses têtes molles de la bonne pensée, celle-là se désole de ce que je ne parle plus aussi souvent des petits oiseaux et de la majesté des nuages. Comme s'il n'était pas possible d'en même temps se réjouir de la beauté des choses et dénoncer vigoureusement les contraintes de toutes sortes qui font que, pour beaucoup, la beauté même est devenue chose strictement incroyable et invisible. Il faut, n'est-ce pas, pour s'ouvrir aux phénomènes, aux évènements, aux êtres qui nous entourent, un coeur qui ne soit pas altéré par la rancoeur, l'envie ou la criante angoisse matérielle du lendemain. Et, bien qu'ayant cette chance de jouir des ressources morales et affectives qui me permettent de faire face aux difficultés qui se présentent à moi comme à tant d'autres aujourd'hui, je ne peux m'abstraire de cette réalité ambiante, je ne peux, comme le disait, il y a quarante ans, Raoul Vaneigem, être pleinement heureux dans un monde malheureux. J'étais, l'autre samedi en fin de journée, dans la file d'attente d'une des caisses de la grande surface, près de chez moi, où j'avais fait de modestes achats, le strict nécessaire, comme d'habitude. Comment décrire l'atmosphère lourde et infiniment triste qui régnait là... tous ces visages fermés, maussades, accablés de je ne sais quelles fatalités, tout autour de moi. Un silence pesant, les regards fuyants et, cette sourde mais pourtant palpable agressivité qu'un rien pourrait faire éclater, dans ces lieux où les marchandises parlent pendant que les humains sont prostrés dans un ennui colossal. Je peux bien vous le confier, j'ai eu, l'espace d'un instant, des idées de balle de revolver me perçant le coeur, tant ma tristesse et mon désarroi étaient grands. Et puis j'ai pensé au poème d'Aragon... Votre enfer est pourtant le mien - Nous vivons sous le même règne – Et lorsque vous saignez, je saigne – Et je meurs sous vos mêmes liens. Bien sûr, je pourrai en revenir et m'en tenir aux préceptes du bon Montaigne, ignorer la laideur et les souffrances autour de moi, m'attacher seulement aux pépites de bonheur encore palpables, malgré tout. Mais cela m'est de plus en plus difficile. Chaque jour apporte son lot de nouvelles, les plus folles et les plus scandaleuses; ce flot incessant venant des quatre coins du monde, pour peu que l'on sache se donner la peine d'y attacher à chaque fois l'importance ou la futilité qui convient, donne un exact portrait de ce à quoi, tous indistinctement, avons à faire face. Mais voilà, nous sommes tous, peu ou prou, dans une brume épaisse, qui vient de notre incomplétude propre. La pure et parfaite conscience de soi s'oppose au poids énorme qu'inscrivent en chacun l'éducation, les normes sociales dominantes et les aspirations collectives dictées par des lois inscrites dans un ailleurs qui a perdu toute forme de transcendance. Un contrat invisible nous lie à des conventions et des modes de pensées qui sont d'un autre âge et, de ce point de vue, nous en sommes encore, collectivement, dans la préhistoire contemporaine; de laquelle nous ne sortirons que moyennant un gigantesque et universel bouleversement d'absolument tout ce que nous tenons encore pour intangible. Mais le premier bouleversement nous regarde toutes et tous. C'est en nous, au plus profond de nos manières de voir, de penser, d'imaginer l'avenir et d'abord, de juger le présent, que les choses peuvent et doivent commencer. Allez, au boulot !...



2 février 2008

600.000. 600.000 quoi me demanderez vous ? 600.000 Euros sur mon compte aux açores ? 600.000 manifestants réclamant justice, équité, moralité publique ou du pain et des jeux ? Vous n'y êtes pas du tout. Juste 600.000 visiteurs au salon de l'auto qui a duré deux petites – ou longues – semaines, selon le point de vue. Et, dans les journaux télévisés, j'ai bien dû me résoudre à le vérifier, d'interminables minutes consacrées à ce non-évènement, de l'inauguration par la Princesse machin-chose jusqu'à la fermeture des lieux, dimanche dernier. En passant, un soir de la semaine dernière, ce reportage en direct sur notre chaîne de télévision de service public, avec reporter au abords du périphérique bruxellois, qui annonçait joyeusement un gigantesque bouchon sur le tronçon menant au plateau du Heisel, là, donc, où des milliers de gens se sont bousculés plus ou moins gaiement devant les gros jouets flambants neufs et écologiques, bien évidemment. Cela dit, j'apprend de sources généralement bien informées, qu'ils s'en trouvent, parmi vous, à me trouver bien sombre ces temps-ci. Je veux tout de suite les rassurer; mon âme est d'une légèreté et d'une fraîcheur tout bonnement prodigieuse et l'état du monde ne m'empêche pas de dormir; mais il m'emmerde, voilà. Et, de ma voix chaude et envoûtante, je compte bien continuer à le dire, même si cela compte pour pas grand chose au milieu des niagaras de sottises et d'insanités qui se déversent en flots aussi malodorants que méphitiques. Et la bagnole, pour en revenir à ces tas de ferrailles colorées, constitue, à mes yeux, l'un des plus forts symbole de cette post-modernité dont la vulgarité intrinsèque le dispute à la plus nauséabonde des prétentions à dire ce qu'il en est, en apparence et en apparence seulement, de la réalité. Car, chères auditrices et chers auditeurs du samedi matin, mettez vous tout de même bien profond dans vos jolies cervelles que le discours que ce monde tient sur lui même est un tissu de mensonges et de contre-vérités. Et les quelques voix – dont la mienne – qui s'évertuent à dire le vrai ou, à tout le moins, qui tentent de faire entendre une part de ce vrai, en sont encore à prêcher pour celles et ceux qui sont à même de les entendre. Pour les autres, les millions de millions d'autres de par ces terres désolées, tout va pour le mieux et il n'y a pas de raison de se faire le moindre soucis. Au reste, ce n'est pas là chose bien originale. On peut facilement imaginer que les riches propriétaires et la plèbe de Rome n'étaient en rien affectés par les alarmes des chefs d'armées qui voyaient venir les hordes barbares aux frontières de l'Empire. Sûrement, l'on vaquaient à ses petites affaires, on allaient voir les gladiateurs s'entretuer au Colisée, acclamer les conducteurs de chars au cirque Maximus, pendant que les intrigues se nouaient dans les couloirs du Sénat. Il faut seulement ne pas oublier que l'Empire millénaire s'est finalement dissous dans les soubresauts de l'Histoire, que Napoléon a fini ses jours dans les bras de Ste. Hélène, Hitler dans le bunker de la Chancellerie du Reich et dans les bras d'Eva Braun. Et moi, dans quels bras ? nous verrons bien. Maintenant, ce vers quoi nous allons sera sans commune mesure avec ce que nous connaissons des cataclysmes du passé. J'aime autant vous prévenir, nous allons en baver et pas qu'un peu. Et j'espère vraiment vivre encore quelques années afin de ne pas manquer une miette de l'effondrement et de la liquéfaction finale de la farce monstreuse qui a nom de progrès. Ah ! le spectacle de la dérisoire machine à jamais figée dans des montagnes de carcasses de toutes sortes: bagnoles, camions, roulottes de nouveaux riches, chars d'assaut, avions... Sombre, moi? Vous voulez rire...



26 janvier 2008

Johnathan Swift, qui ne manquait pas d'humour, suggèrait, dans un texte célèbre, que les enfants des pauvres d'Irlande, plutôt que, de toute manière, mourir très tôt d'inanition ou devenir de vilains chapardeurs et délinquants, soient tout simplement achetés à leurs infortunés géniteurs et, après abattage, vendu comme viande de boucherie. Selon lui, les jeunes bambins, sortis à peine du sevrage en lait maternel – qui ne coûte rien – ne pouvaient que constituer la base de plats agréables et variés, selon la fantaisie et l'imagination des cuisiniers et des ménagères de la bonne société. Devant l'actuelle et exponentielle montée de la paupérisation de couches de plus en plus larges de nos sociétés d'abondance, il y aurait là de quoi réfléchir sereinement à la manière de mettre un terme à ce fâcheux état de fait. Car enfin, devant l'irrésolution de ceux qui commandent et imposent partout les dures mais irréfutables lois du marché, devant, aussi la résignation de ces nouveaux pauvres, selon la formule désormais en usage, il faudra bien que l'on trouve les moyens qui permettraient de remédier radicalement à un phénomène qui, dans un monde aussi peu soucieux de morale que d'efficacité pratique, ne peut continuer à s'étendre indéfiniment. Aussi bien, je me permets de suggérer à ceux qui ont la lourde responsabilité de l'ordre et du bien être public, de commencer par regrouper en des lieux éloignés des grands centres urbains, les familles et les individus les plus touchés par la misère. Ce pourrait être des manières de camps d'internement, au confort tout relatif, bien sûr, avec baraquements pourvus des plus élémentaires structures sanitaires, salles de réunion, dortoirs, infirmerie, salle de spectacle et, pourquoi pas, de cinéma, enfin, le strict nécessaire à une vie communautaire dont la surveillance et la discipline seraient assurées par des gardiens recrutés au sein même de la population de ces unités de regroupement, on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Bien évidemment, il s'agirait d'exiger de ces gens qu'ils s'adonnent résolument à des travaux d'intérêt général, comme de plier à longueur de journées des papiers officiels et les mettre sous enveloppe, fabriquer des caisses de carton destinées à recevoir telle ou telle marchandise, mais aussi, qu'ils veillent à la propreté des lieux communs, à l'entretien des quelques espaces verts et aires de jeux mis à la disposition des résidents et autres menues occupations sans lesquelles, on ne le répètera jamais assez, aucune vie humaine n'est digne de ce nom. Il n' échappera à aucun de nos dirigeants que l'intérêt de telles mesures, sévères, certes, mais salutaires, réside essentiellement dans le fait que, dès lors que seront ainsi mises à l'écart ces foules d'indigents, le visage de nos villes et de nos campagnes changera du tout au tout. Les heureux et honnêtes citoyens-travailleurs n'auront plus à subir le lamentable spectacle de misérables loqueteux incapables de s'adonner aux joies du shopping et de la mobilité, partout ce ne seront que visages épanouis et joyeux, enfants roses et dodus revêtus d'habits à la dernière mode, prestigieuses et coûteuses automobiles se disputant le passage dans les avenues bordées de commerces rutilants; le paradis sur terre, ou presque. Maintenant, on pourrait aussi fort bien imaginer que, partout dans le monde civilisé, on en arrive à des solutions plus radicales encore. Qui consisterait en l'élimination pure et simple de la misère; qui ne pourrait passer que par l'élimination pure et simple des miséreux. Il suffirait de décréter que les pauvres, étant pauvres, n'aient plus droit au statut d'humains; et l'affaire serait dans le sac...


19 janvier 2008

Il m'arrive de penser, non sans une pointe de nostalgie liée à ma seule imagination, aux temps où, pour voyager, aller d'une ville à l'autre, aller à la rencontre des habitants d'un pays voisin ou lointain, on n'avait à sa disposition que la marche à travers les forêts et les champs, les anciennes voitures tirées par des chevaux ou un cheval pour seule monture. Me reviennent alors en mémoire les histoires d'autrefois, que je lisais étant enfant, dans mes premiers livres d'aventure ou les illustrés de ma prime jeunesse. Où d'intrépides voyageurs parcouraient des lieues et des lieues, accompagnés de vieux et fidèles amis ou bien en solitaires. S'arrêtaient dans des auberges éclairées à la bougie avec, dans l'âtre, d'énormes pièces de viandes dégoulinant de jus odorants, sur la table, de grosses miches de pain, des assiettes de terre cuite remplies de soupe, des montagnes de fruits et des cruchons de vin. Et dans la pénombre, l'un ou l'autre racontait des histoires pour faire peur ou bien entonnait des chants que tous reprenaient en coeur. En ces temps anciens, les philosophes et les lettrés traversaient le continent pour rendre visite à un correspondant, un collègue, un savant. Les voyages duraient parfois des semaines voire des mois. On avait le temps devant soi, on allait au rythme des saisons, bravant la pluie, la neige ou le soleil brûlant. On s'arrêtait dans des villages isolés et austères où les habitants tenaient porte et table ouverte pour les égarés et les affamés. Et puis l'on repartait au matin, la besace pleine pour une autre journée de route. Qu'il devait être doux et grisant que d'être ainsi entouré d'une Nature sauvage, vierge et belle encore; peut-être aussi parfois effrayante dans ses manifestations. Combien le voyageur isolé devait ressentir d'émotions, comme son coeur devait battre et ses yeux s'émerveiller de tant de mystères autour de lui. Il emportait dans son maigre bagage quelques livres, des lettres pour l'ami lointain, le strict nécessaire de vêtements, une outre de peau remplie de vin ou d'eau. Parfois, il s'arrêtait à l'orée d'une clairière, se reposait un peu, allongé dans l'herbe tendre, attentif aux murmures des oiseaux, aux bruits légers d'animaux craintifs, il levait les yeux au ciel et contemplait les nuages ou, la nuit, comptait les étoiles avant de s'endormir, enroulé dans une couverture rêche et effilochée, la tête posée sur son baluchon. Fin de la rêverie, revenons-en à notre grotesque et folle modernité. Des cochons fluorescents en Chine. Le pic pétrolier, c'est à dire, le début annoncé de la pénurie en carburant fossile, qui se profile à l'horizon et se rapproche à une allure folle. A quoi l'on répond par la construction et l'inauguration en grandes pompes du nouveau terminal de Charleroi. En prenant soin de ne dire mot des ravages causés par les cinq millions de vols annuels autour du globe. Pour ammener les gens au soleil, toujours plus loin et à bas prix, merci le pouvoir d'achat. Les vols de mazout dans les cuves des écoles et des bâtiments publics. L'abbatage clandestin d'arbres dans les parcs et le long des routes. Ce qui ne constitue pas du vol mais bien, très strictement, du pillage. Bientôt des hordes de crèves-la-faim envahissant les super marché, les forces de l'ordre réprimant des émeutes menées par des mères de famille et des chômeurs en fin de droits. La logique d'un monde, celui-ci, qui nous a été imposé et que l'on nous abjure d'aimer encore pour ce qu'il est, dont on nous dit qu'il est le seul posssible et souhaitable, cette logique de maîtres et d'esclaves hébétés, prétend maintenant détenir les moyens de le rendre encore habitable. Pour un certain temps et moyennant quelques petites économies de ceci et de cela. Sinistres imbéciles qui décident de tout. Petits hommes au volant de leurs boîtes métalliques sur roues. Vivement le printemps et mon premier merle chantant au dessus d'un toit...

12 janvier 2008

J'ai connu de beaux moments à l'occasion des fêtes. Avec quelques amis choisis, avec Antoine et les chats. Mais je ne suis pas fâché que cette période soit passée, tout aussi bien. Et puis, à l'aube de cette nouvelle année, je n'ai pris aucune résolution particulière, contrairement à l'usage qui veut que ces moments soient propices à de vagues promesses que l'on peut se faire de prendre tel ou tel engagement. Arrêter de fumer pour les uns, perdre quelques kilos pour d'autres, enfin, se lancer dans l'avenir plus ou moins prévisible avec la vague assurance que, d'une manière ou d'une autre, on sera mieux préparé à affronter ce qui adviendra. Mais, bien évidemment, s'il est bien un domaine porteur de toutes les incertitudes, c'est bien celui de ce temps aux propriétés trompeuses autant que charmantes pour ce qui touche, évidemment, au temps qui passe, qui est le seul auquel nous soyons confronté. L'autre, le temps universel, qui est d'une impassabilité proprement inimaginable, le temps qui est aussi bien une absence proche du pur néant, ne nous sera connu qu'à notre toute dernière micro seconde de présence en ce monde-ci. Et encore, nous ne pouvons même pas en être sûr. Il ne peut donc nous intéresser qu'en tant de mystère absolu, à jamais irréductible à toute interprétation. Laissons donc là les arcanes de la métaphysique et affrontons courageusement cela seul qui compte pour nous: les heures et les jours à venir. De quoi seront-ils faits, quelle couleurs auront-ils, quelles surprenantes aventures allons nous vivre ? Ni les lignes tracées sur nos paumes, ni le mouvement des planètes, aucune image tremblotante dans une boule de cristal ne peuvent nous le dire. Comme hier et depuis toujours, nous serons, à chaque matin qui viendra illuminer la fenêtre de notre chambre, comme neuf et lavé des heures déjà passées. Et chaque jour que nous aurons à vivre sera un jour que notre joie de le voir naître suffira à lui donner un peu de cette épaisseur nuageuse, transparente et claire. Et, si d'aventure, le jour qui suivra devait ne nous être pas favorable, il importera peu puisque le suivant, se levant sous d'autres auspices, nous amènera peut-être un petit bonheur tout à fait plaisant dont nous n'aurons qu'à nous réjouir, tout simplement. Bien entendu, vous comprendrez que si je parle de bonheur – de quoi donc pourrais-je bien vous parler – je ne pense pas aux impératifs et aux illusions entretenues par les fallacieuses promesses et les bavardages incessants des spécialistes de la réclame. Selon moi, le bonheur ne réside pas dans la possession de ceci ou de cela, dans la débauche et l'accumulation forcenée des marchandises. Et, de surcroît, le bonheur n'est en rien obligatoire ni ne peut se concevoir comme permanent. Il est, selon moi toujours, accidentel et fragile; et d'autant plus précieux. Il tient à peu, très peu de chose et, des uns aux autres, les raisons qu'il peut y avoir d'être plus ou moins ou parfaitement heureux, varient, bien évidemment. Pour moi, je m'en tiens à ceci, par exemple: j'ai connu des réveils merveilleux, tôt en ces matins d'hiver quand, ouvrant les yeux sur la fenêtre grande ouverte de ma chambre, je voyais au ciel à peine s'éclaircissant, cette étoile lumineuse et souveraine, Vénus, très probablement. Et alors, émergeant de mes songes, je sentais en moi cette vague de chaleur et de reconnaissance et je me sentais absolument immergé dans la belle Nature, hélas menacée de toutes parts, dans la palpable profusion des êtres de toutes sortes, engourdis par le froid dans les campagnes gelées. A ces moments montaient de mon coeur une prière, un oui à tout ce qui m'a été donné et que j'ai accueilli avec ferveur.


5 janvier 2008

C'était un soir de décembre. L'année dernière, déjà... Etant, comme souvent, dans cet état de disponibilité que procure l'absence de projet d'aucune sorte, j'allais de la cuisine au salon, traînant cette forme d'ennui mêlé de pensées de toutes sortes, des plus incongrues aux plus prosaïques, caressant l'un ou l'autre chat au passage. Et puis, comme il arrive, je me suis retrouvé devant la télé, que j'ai allumée, pour voir, au cas où. Et j'ai fort bien fait. Il y avait, sur Arte, un téléfilm. Aussi bon et intelligent qu'un vrai film. Dans cette histoire, il était une fois les deux fils de leur père, ce qui ne vous surprendra pas, lequel, ancien héros de la résistance et député vient juste de passer de vie à trépas. Germe alors, dans la tête de l'un (Olivier Gourmet) l'idée de proposer à l'autre (Hyppolite Girardot) de se présenter aux élections et de prendre la relève du défunt. Et donc les voilà en pleine campagne électorale, dans la belle ville d'Annecy, avec son lac entouré de montagnes aux flancs verdoyants. Et lui, le candidat, secondé par un conseiller en communication (pouffons un peu), pressé par son frère, plus ou moins soutenu par sa légitime, distrait de ses occupations de chef d'entreprise, le voici, de meeting foireux en déambulations sur les marchés et visites aux commerçants locaux, le voici de plus en plus en porte-à-faux, de plus en plus éloigné du rôle qu'il est sensé jouer dans un spectacle qui, manifestement, n'est pas fait pour lui. Je vous passe les détails, je n'ai pas la place pour vous en dire plus. Simplement, ceci: n'entre pas en politique qui veut. En l'occurrence, celui-ci, que l'on voit se promener en solitaire dans les vallons, qui frémit d'allégresse devant la beauté des choses et des animaux, pique une saine colère dans un bistro, se mettant évidemment à dos le tenancier des lieux. Le même, encore, qui se lance dans des discours plus chargé de poésie que de lieux communs et de rhétorique creuse, on voit bien qu'il na pas, qu'il ne pourra jamais avoir sa place sur les bancs d'une quelconque Assemblée. La langue qui est en usage dans les sphères de tous les pouvoirs n'a rien de commun avec celle que l'on parle ailleurs, ce grand ailleurs multiforme qui est peuplé de gens comme vous et moi, qui ne demandent pas l'impossible à la vie, dont les rêves sont à la hauteur d'un quotidien parfaitement banal dans lequel, de loin en loin, scintille tel moment, telle image entrevue au carrefour des petites aventures qui s'offrent aux coeurs légers et apaisés. Il est des carrières qui ne s'accordent qu'à des consciences par avance ou très tôt soumises aux attraits des honneurs, des prétendues responsabilités, de la soif de pouvoir et des attributs illusoires qu'il est sensé entraîner. Et l'on a pu vérifier, à l'occasion de la crise qui s'est ouverte il y a plus de six mois, que l'exercice des affaires, des débats et des disputes menés en haut lieux, n'allait pas sans cette dose de rouerie, de faux semblants, d'omissions de toutes sortes, de calculs et de coups bas distribués sous le couvert de la vertu outragée. Pour le dire simplement, la classe politique ne sort pas grandie de cette lamentable mascarade. Et le pire – à moins que ce soit le meilleur – c'est que les néo-citoyens savent maintenant que tout cela n'était qu'une mascarade. Et il n'aura échappé à personne que, le gouvernement de fortune à pein formé autour de grandes promesses, on a vu quelques ministres, les nouveaux et les recasés, des chefs de parti et leur progéniture, partir en vacances, le coeur léger, la conscience parfaitement tranquille. Décidément pour le meilleur et surtout pour le pire, on vit une époque vraiment formidable.





16 juin 2007

Il y a dans le fait de glisser dans cette caisse de bois de grands morceaux de papier ou, en certains endroits, d’utiliser un crayon optique pour choisir telle ou telle liste ou un nom plutôt qu’un autre, une solennité, de la part de ceux qui consacrent à ce rituel obligatoire, qui ne laisse pas, à chaque fois, de m’étonner. Comme si ce geste, qui se répète pour chacun de nous à intervalle régulier, était chargé de je ne sais quel pouvoir magique et porteur de significations vaguement occultes. Déjà, l’organisation de l’espace des classes d’école où se tiennent les scrutins, la longue table devant laquelle sont installés les assesseurs, les isoloirs drapés de tissus, le silence à peine rompu par de discrets chuchotements, ont pour effet de donner à ces lieux somme-toute parfaitement banals, comme un air de temple dédié à des divinités ombrageuses qu’il s’agirait de ne pas heurter et qui exigeraient de nous respect et dévotion. De la même manière, il est bon d’observer que les ministères et les hémicycles où les élus du peuple débattent des questions du jour, plus ou moins graves selon les circonstances, sont des édifices généralement très imposants, gardés par des policiers ou des militaires, qui veillent à ce qu’aucun intrus ne s’avise d’en franchir les portes. Car, n’est-ce pas, ne nous leurrons pas ; les tapes dans le dos, les connivences de façade, ce côté «près des gens», l’apparente attention à leurs problèmes et à leurs préoccupations pendant les campagnes électorales, ne doivent pas nous cacher que, le moment venu des choses enfin sérieuses, les prétendants aux responsabilités et donc, au pouvoir, prendront très vite la figure de ceux qui, loin au dessus de la mêlée où le bon peuple continuera d’entretenir ses pauvres et vaines illusions, se mueront en lointains et dédaigneux gestionnaires de la chose dite publique. Et l’on verra que la mise en scène et en spectacle des confrontations de la campagne, avec ses outrances, ses fausses ruptures et ce semblant de consensus à propos de tout et de n’importe quoi, aura vite fait place aux nécessaires compromis, aux ralliements les plus étonnants quand ce ne sera pas à de surprenants mais habituels reniements de la parole donnée. En passant, je me dois aussi de dire qu’il y a, dans le paysage politique de ce petit pays, des exceptions notoires. Suivez mon regard. Au reste, si nous voulons y réfléchir un peu, il ne peut nous échapper que, pendant une période qui risque d’être longue, nous serons, proprement, sous l’autorité d’un gouvernement chargé des affaires courantes, d’une équipe qui donc, au sens strict, ne gouvernera plus, ne promulguera ni ne fera plus appliquer aucune loi ni directives. Et pendant ce temps là, pour nous, la vie continuera d’aller son cours; les gens qui travaillent continueront de travailler, les rêveurs de rêver, les amoureux de s’aimer, les enfants de grandir, les amis de se réunir; enfin, on ne risque pas de voir se manifester la moindre impatience de la part d’une opinion publique largement indifférente quand elle ne semble pas tout à fait inexistante. C’est donc que, par ce côté, on pourrait imaginer pouvoir parfaitement se passer de gouvernement, du moins sous la forme de celui auquel nous sommes, par la force des choses, soumis et contraint d’obéir. Car si, selon le mot fameux, la démocratie parlementaire est le moins pire des systèmes politiques, d’autres façons d’être ensemble sont encore et peut-être, plus que jamais, à expérimenter. Mais c’est une autre histoire. Qu’il nous resterait à écrire…







9 juin 2007

A quelques heures de l’historique journée de demain je ne vous entretiendrais évidemment pas des animaux politiques (l’expression n’est pas de moi) qui ont eu l’honneur des pages de vos journaux et des émissions de radio et de télévision pendant suffisamment longtemps et, quand bien même en aurai-je l’envie, les règles en vigueur dans notre maison, me l’interdirait de toute manière. La chose étant entendue, je vous parlerais aujourd’hui d’animaux au sens strict du terme. Et cela dans le prolongement de ma chronique de samedi dernier qui, par ailleurs, a eu quelques échos chez certaines et certains d’entre-vous, qui vont dans le sens de ce que j’avais observé. Je n’avais pas rêvé. Les animaux, disais-je. Qui me fascinent et me troublent et qui, de tout temps ont préoccupés les poètes, les scientifiques et les philosophes, lesquels ont, à mon estime, dis pas mal d’énormités et de sottises au sujet de ces créatures à commencer par celle-ci: «Les animaux, contrairement aux hommes, ne possèdent pas de langage». Donc, ils sont muets, leur place dans l’échelle de l’évolution est clairement à l’échelon le plus bas et nous, les hommes, sommes fondés à user de notre puissance et de notre ingéniosité dans le but de nous les soumettre, les parquer dans des zoos, leur apprendre des tours dans les cirques pour la plus grande joie des enfants, les enfermer dans des laboratoires et les couper en morceaux, vivants, bien sûr et les massacrer en masse à seule fin d’extraire de leurs dépouilles telle ou telle partie de ce qui les constituait –os, poils, huiles et autres substances – possédant des vertus prétendument aphrodisiaques ou médicinales. Alors, oui, bien sûr, je ne puis avoir de longues conversations avec mes chats sur le fait de savoir s’ils possèdent une âme ou non, les poissons rouges n’entendent rien au latin, mais un chien bien dressé se couche quand son maître le lui commande, que ce soit en français, en allemand ou en japonais. On sait que les vaches donnent un meilleur lait quand on diffuse dans leur étable des pièces de Mozart plutôt que du hard rock mais il est bien évidemment inutile d’essayer de leur apprendre le solfège ou à jouer d’un instrument. Maintenant, quand au détour d’une rue j’en viens à surprendre les chants croisés de deux ou trois merles je ne puis me déprendre de cette impression très nette qu’ils se racontent des histoires, que leurs trilles joyeuses constituent bel et bien un langage, qui leur est propre et auquel nous sommes radicalement étranger. Ainsi en est-il de toutes les formes de communication que chaque espèce a pu développer et à laquelle toutes les autres sont tout aussi éloignées que nous le sommes, nous, du langage et des signaux subtils qu’échangent, par exemple, les abeilles, même si nous pouvons prétendre en avoir décodé une infime partie. C'est bien l'une de nos plus terrible présomption que de croire et nous persuader que nous sommes en tous points la plus haute manifestation du génie inventif de la Nature, qu'en nous et en nous seuls se concentrent toutes les qualités qui fait de notre espèce celle qui, souverainement et aveuglément, s'arroge le droit de disposer de toutes les autres ou de leur dénier toute forme de droit à l'existence. De là, aussi, entre nous et pour notre malheur, ce penchant que l'on ne trouve nulle-part ailleurs dans le vivant qui nous voit décréter que tels de nos frères humains n'en sont pas et qu'à l'instar des bêtes l'on peut les enfermer dans des cages, les battre, les torturer et les exterminer par centaines de milles ou de millions. Cela s'est vu, cela se voit, cela, hélas, se verra encore. Nous sommes des hommes, tout de même...



2 juin 2007

J’ai fait un petit voyage, la semaine dernière, jusqu’à Bruxelles, pour ne rien vous cacher. Un déplacement par le train, comme de bien entendu, qui est pour moi, avec la marche, la plus agréable manière d’aller d’un endroit à un autre. Je ne vous dirais rien des motifs qui ont présidés à cette escapade de quelques heures, cela restera, pour quelque temps encore, un secret qui vous sera révélé le moment venu. Ce que je peux vous confier, par contre, c’est l’exaltation et l’enchantement qui ne m’ont pratiquement pas quitté pendant que, accoudé à la tablette, je regardais défilé les paysages, les villages et les campagnes, les champs et les pâturages. Ici, un ruisseau, là, un bosquet et puis, dans le lointain, une infinité de nuances de verts, le bleu du ciel et quelques nuages vagabonds. Mais surtout, le long des voies du chemin de fer et bordant les prés, des coquelicots, des milliers de ces fleurs pour lesquelles j’ai, de longtemps, une tendresse particulière. Quant à vous dire pourquoi, j’en suis bien incapable. De lointains souvenirs d’enfance, sans doute, de ceux qui restent à la mémoire pour de mystérieuses raisons. Etrangement et c’est à cela que je voulais en venir, depuis le début de ce printemps, j’ai cette impression que pour cette fois, tout est allé très vite, comme si la Nature s’était trouvée pressée d’en venir au fait, de montrer qu’elle était encore bel et bien là. Je me souviens des premiers bourgeons, tôt venus, des premières feuilles tendres aux arbres de ma rue, dans les parcs et dans les sentiers et les sous bois de mes premières promenades de la saison. Et puis, en l’espace de quelques jours, j’ai vu partout éclater et se répandre une profusion, une débauche inimaginable de plantes de toutes sortes, du plus timide brindille aux parures des arbres géants. Jamais, dans mes souvenirs, je n’avais ainsi assisté à tel spectacle, jamais ne m’avait semblée plus triomphante la venue de ces milliards de témoins de l’extraordinaire et inconcevable miracle qui, depuis des temps immémoriaux, se perpétue. Bien sûr, ce ne peut-être qu’une impression, un mirage, ou bien encore ai-je été abusé par mes sens. Toujours est-il qu’il m’a semblé voir dans cette si soudaine et grandiose prolifération comme un signe que nous adressait la vie: regardez, semblait-elle dire, regardez et imprégnez vous de cela, de cette présence colossale de myriades de cellules qui se font arbres et insectes, attendrissants rongeurs tapis dans l'ombre des fourrés, vaches paisibles allongées dans l'herbe, alouettes montant vers le soleil, chats pensifs et chiens fidèle au regard mouillé. Respirez, disait encore la vie, respirez l'odeur de la terre humide encore de la dernière pluie, levez les yeux au ciel la nuit venue et voyez la vastitude des mondes lointains, saluez Vénus et Orion et la lune qui veille sur vos rêves. Voilà ce que j'ai entendu, voilà ce que j'ai vu. Et j'en viens à espérer que peut-être, un peu partout ici et de par le monde, d'autres que moi ont eu cette vision, ont senti le souffle tiède de l'appel venu des profondeurs de ce Tout, de l'immensité de l'Etre, dont nous ne sommes, nous humains, que des avatars qui avons oubliés, pour notre malheur, que nous appartenons et que nous sommes liés, indéfectiblement, à la prodigieuse et muette Présence qui de partout et de mille manières, nous fait des signes. Et le vieux Plotin l'avait bien pressenti, qui disait que «Toute vie est une pensée, mais une pensée plus ou moins obscure, comme la vie elle-même...»







26 mai 2007

Sans doute vais-je vous étonner mais, en ce samedi de printemps, je ne vous parlerai pas de Vladimir Poutine, ce vilain bonhomme, ni du petit Nicolas et encore moins de réchauffement climatique mais, plus joyeusement, de cinéma. Ce sera ma manière à moi de rendre un vibrant hommage à notre cher Jean-Louis qui, là bas, sous le soleil de Cannes, fait tout ce qu’il peut pour vous tenir au courant de ce qui se passe à l’avant scène et dans les coulisses du festival. Mais aussi, je vais en profiter pour, à ma manière inimitable, en revenir quelque peu à ma chronique d’il y a deux semaines, où il était question de la France, d’une certaine langueur et de Robert Walser dont la citation clôturait mes propos. Souvenez vous de ce petit bijou «Le baron de l’écluse» de Jean Delannoy, tourné en 1959, où sont réunis, entre autres, Jean Gabin, Micheline Presle et la très touchante Blanchette Brunoy, qui tient le rôle de l’aubergiste qui, secrètement et avec cette discrétion charmante, est amoureuse de Jérôme Napoléon Antoine, le héros de cette délicieuse comédie. Il y a, n’est-ce pas, cette scène adorable du dîner d’adieu que la tenancière offre au baron et au cours duquel, à pas menus, d’une merveilleuse façon, elle lui avoue ces sentiments les plus doux. Elle lui a préparé du lapin et ils sont là, tous les deux, dans ce tête à tête émouvant et Gabin, plein de prévenance, avec un tact désarmant, fait entendre à la jolie personne qu’hélas il ne pourra pas rester auprès d’elle à tenir ces lieux enchanteurs et qu’elle mérite mieux que lui pour partager son existence. Voilà le cinéma que j’aime, avec des personnages que l’on aurait envie de rejoindre sur l’écran, rien que pour les embrasser sur les deux joues tant ils sont proches de nous, tant ils sont emplis de cette humanité, de cette attention et de cette infinie gentillesse que si rarement on rencontre encore aujourd’hui. Et puis, et puis… cet autre chef-d’œuvre, de Jacques Tati, que mon père m’a amené voir quand j’avais 12 ou 13 ans, dans un cinéma du quartier où nous vivions alors. Bien des années plus tard, j’ai emmené Antoine voir «Mon oncle» et il avait le même âge que moi à l’époque dont je parle. Et il arrive encore, presque 10 ans après, qu’il l'évoque, cet oncle; qui vivait dans ce vieux quartier de Paris qui sentait un peu la campagne, avec son bistrot, ces personnages attendrissants comme le balayeur public qui, à chaque fois qu’il feint de se mettre à l’ouvrage, s’interrompt pour discuter le bout de gras avec l’un ou l’autre, prenant appui sur le manche de son balai à l’ancienne, fait de ramées. Et l’appartement de l’oncle, tout là haut de cette vieille bâtisse, la fenêtre qu’il oriente afin que les rayons du soleil éclairent l’endroit où est l’oiseau, qui chante à tue-tête. Les promenades avec son neveu, le marchand ambulant qui fait ces galettes au sucre, emballées dans du papier journal et que les enfants dévorent au milieu du terrain vague qui est le lieu de leurs innocentes facéties. Comment ne pas ressentir la joie la plus simple, comment ne pas éprouver un peu de la nostalgie de ce temps-là où un rien était cause de ce bonheur tout bête d’être seulement là, sans soucis inutiles, sans penser à l’heure qui va venir. Mais aussi, laissez moi évoquer le film de Julien Duvivier, qui date de 1936, quand la France du Front Populaire découvrait les premiers congés payés et que les parisiens quittaient leurs faubourgs, le dimanche, pour s’en aller batifoler, manger sur l’herbe et guincher sur les bords de la Marne. Où l’on voit cette bande de cinq chômeurs, heureux gagnants d’une somme rondelette à la loterie nationale, se lancer dans la réfection d’un ancien lavoir dont ils ont le projet de faire une guinguette. Que la fin de cette aventure voit nos compères se déchirer, qu’une femme soit la cause de l’ultime rupture n’enlève rien à la magistrale leçon de ce joyau du cinéma français d’entre les deux guerres. Une leçon qui nous dit ceci: oui, la vie est riche d’une infinité de possibles; oui les amours naissent et se meurent et des amitiés peuvent nous accompagner toute une vie. Oui, le temps nous est compté et nous avons à l’aménager du mieux possible; oui, il faut seulement savoir dire oui. C’est, pour moi, le plus beau mot de notre langue, celui qui nous entraîne vers l’incertain du lendemain, vers le bleu du ciel et vers les nuages. Oui, encore et toujours, oui.




19 mai 2007

Il y en a tout de même qui ont du temps à perdre et, en passant, je m’en réjouis, dois-je le préciser. Voyez ce monsieur Richard Wiseman, de l’université d’Hertfordshire, au nord de Londres qui a dirigé toute une équipe de chercheurs à seule fin de calculer le temps que mettaient à parcourir 18 mètres, les adultes de 32 villes de 32 pays. La même étude avait été faite en 1997 et il s’agissait, si j’ose dire, de remettre les pendules à l’heure et de voir si la vitesse de croisière des piétons des grandes métropoles avait ou non évolué. Hé bien oui, on marche plus vite un peu partout sous le soleil puisque la vitesse moyenne de nos déplacements s’est accrue de 10%. Il vous intéressera, j’en suis sûr, de savoir que, par exemple, ce sont les Singapouriens qui sont les plus rapides du monde puisqu’ils parcourent cette distance – de 18 mètres, je vous le rappelle – en 10,55 secondes. De leur côté, les habitants de Manama, au Bahreïn, de Berne, en Suisse et de Blantyre, au Malawi sont les marcheurs les plus lents du monde, avec une moyenne de 17,37 secondes. Nicolas Sarkozy sera certainement heureux d’apprendre que les Parisiens figurent en milieu de tableau – ils sont seizième – avec une moyenne de 12,65 secondes. Et sûrement, le nouveau Président de la République, demandera-t-il à ses chers compatriotes de relever l’immense défi qui consisterait à se lancer dans un sprint d’anthologie en vue de battre sur le fil ces Singapouriens et de mettre la France à sa juste place, c’est à dire sur la plus haute marche du podium. Bizarrement, il n’est pas question de nous, petits belges, dans cette historique enquête et j’ai donc pris sur moi de pousser un peu plus loin les investigations des chercheurs londoniens et, chronomètre en main, après avoir, au centimètre près, tracé une ligne virtuelle à 18 mètres de la porte qui me permet de sortir de chez moi, j’ai très précisément calculé le temps que je mettais à parcourir la distance fatale. Je m’y suis pris à plusieurs reprises, bien entendu, dans le seul but de mesurer objectivement la performance et j’en suis arrivé à ce chiffre: 29,56 secondes. C’est dire si je prends le temps. Et encore, pour mener à bien cette expérience, j’ai volontairement et un tantinet accéléré le pas ce qui ne m’a pas demandé d’efforts démesurés, merci de vous en inquiéter. C’est que, voyez vous, au cours de ma longue vie d’honnête travailleur, j’ai beaucoup, énormément marché et, le plus souvent, d’un pas décidé, pour ne pas manquer le bus, le métro ou le train. Et puis, plus tard, les aléas de ma vie professionnelle ont fait que, mes occupations et les obligations y afférentes s’étant fortement amenuisées, j’ai découvert la joie et les bienfaits de la marche à pas lents et mesurés, les mains croisées derrière le dos, le nez au vent, l’esprit dégagé, le cœur battant sagement dans ma pas très vaste poitrine; on ne se refait pas. Et, à l’heure où, à Cannes, le cher Jean-Louis galope comme un dératé à la poursuite de ces messieurs dames du 7ème art, je ne puis que vous inviter à suivre mon exemple et à y aller doucement, gentiment, tendrement et à afficher sur vos sympathiques visages, votre plus beau sourire…



12 mai 2007

J’avais 15 ou 16 ans; nous passions nos vacances, en famille, au camping de la Panne, sous une énorme tente perdue au milieu d’une vaste étendue de caravanes et nous faisions sûrement un peu figure de zigotos ou de doux dingues aux yeux des autres habitants des lieux et, de cela, mon père riait et je lui en suis encore reconnaissant. Car c’est de ce temps si lointain que m’est venu, je le pense bien, ce détachement et cette indifférence à certaines des pauvres conventions dont, collectivement, nous sommes les victimes en même temps que les artisans. C’est de cette époque aussi que date mes premières impressions et les souvenirs qui m’attachent encore aujourd’hui à cette France dont, bien évidemment, l’on parle beaucoup ces temps-ci, vous savez pourquoi. J’étais, ces étés là de mon adolescence, un mince mais vigoureux jeune homme féru de bicyclette et, chaque fois que j’en avais l’occasion, je m’en allais louer pour la matinée ou l’après midi, un vélo de course que j’enfourchais gaiement, décidé à avaler les kilomètres en me prenant pour Jacques Anquetil, qui était mon idole et que je revois encore, sur le petit écran de la télé noire et blanche de la cantine, débouchant sur la piste vélodrome du vieux Parc des Princes, sous les vivats de la foule, lors de l’ultime et triomphale étape du tour de France. Et je m’en allais vers Bray-Dunes, passant la frontière sous l’œil goguenard des douaniers, fonçant à toute allure vers Dunkerque sur cette route qui longeait la mer du nord et qui me voyait traverser les petits villages et les hameaux aux mêmes maisons crépies de gris ou d’ocre. Nulle ostentation, pas de décorum, une impression de simplicité et même d’un peu de ce laisser aller qui, pour moi, avait un charme singulier que je ne trouvais qu’en ces lieux de la France profonde du temps du Général de Gaulle et que, bien plus tard, il m’est encore arriver de goûter dans d’autres contrées du cher vieux pays, comme le disait l’illustre personnage. Oui, déjà, j’aimais cette France là, avec ses habitants qui allaient d’un pas moins pressé que le nôtre, moins soucieux, me semblait-il, des apparences ou des signes extérieurs d’une prospérité qui, chez nous, s’affichaient avec ce que je voyais déjà être cette forme ridicule d’arrogance qui s’est généralisée depuis, ici et ailleurs. Je sentais, dans les petits cafés du Nord où je faisais halte pour un verre d’eau ou un bol de chocolat, cette atmosphère douillette et feutrée, l’impression que le routier, l’épicier du coin, le cultivateur ne tarderaient pas à y aller, comme ils disaient, à leur rythme plus langoureux que le nôtre, moins pressé par le temps. Je vivais cette nonchalance dans les mouvements, dans le discours et dans l’intonation des voix, elle m’allait bien, si je puis dire, je lui trouvais un charme qui ne m’a jamais quitté et que toujours depuis j’ai aimé retrouver, à chaque fois que la France m’ouvrait ses bras et que je la retrouvais telle que je l’aimais. Ce n’est pas, bien sûr, que j’en sois à lui être infidèle ; par de nombreux côtés je ne vois pas qu’elle ait tant changé mais je crains de voir dans le nouveau locataire du Palais de l’Elysée celui qui, au nom des principes et des objectifs dont il se prévaut, pourrait bien faire du pays cher à mon cœur un pays qu’hélas je ne reconnaîtrais peut-être bientôt plus. Où les gens vont aller d’un pas plus rapide, où l’on va les voir plus affairés qu’hier, plus soucieux et inquiets qu’ils ne l’étaient déjà des travaux et des jours. Il n’y aura bientôt plus de place pour celles et ceux qui avaient soin de cultiver benoîtement le temps qu’ils avaient à perdre sans trop se soucier du lendemain. Tous, désormais auront à rendre compte de leur ardeur et de leur dévouement à la grande cause de la croissance infinie et l’on verra peut-être de nouvelles formes de punitions frapper les récalcitrants aux glorieux impératifs du travail et du mérite. Une fois encore, laissons parler Robert Walser qui, mieux que je ne le pourrais faire, résume parfaitement, ici, mes propos:

«Il y a encore, Dieu merci, des gens qui doutent, certains même qui ont l’instinct d’hésitation. Comme si tous ceux qui y vont carrément, qui savent mettre l’affaire dans le sac, qui font valoir des prétentions, étaient pour nous un exemple à suivre et, pour le pays auquel ils appartiennent, de bons citoyens. Eh bien justement, non ! Et il y des non-prêts mieux préparés que les déjà prêts, et des inutiles souvent beaucoup plus utiles que les utilisables, et finalement il n’est pas besoin que n’importe quoi soit immédiatement et dans les plus brefs délais mis à la disposition des besoins. Je souhaite, moi, joyeuse vie, dans notre temps aussi, à un certain luxe de l’homme, et une société tombe entre les mains du diable quand elle prétend éliminer toute forme de nonchalance et de relâchement».






5 mai 2007

Qu’est-ce que j’essaye de vous dire, au fond? Au travers des histoires que je vous raconte, en relatant les petits évènements de ma vie de tous les jours, en m’emportant contre le monde et certains de ceux qui y vivent? Ceci, il me semble; et très simplement. Que nous n’avons qu’une vie à vivre. Et que cette vie a un prix, celui que nous sommes en mesure de lui donner ou non. Mais aussi qu’il dépend de nous et seulement de nous, de chacune et chacun de nous, de lui donner du sens. C'est-à-dire, de ne pas en rester à tout cela que la naissance et les circonstances ont déposés en nous à notre insu et qui forme le socle premier de la manière dont nous avons découvert et appréhendé le monde et ce qu’il contient. A l’origine, nous sommes un matériau parfaitement vierge, un petit enfant aux yeux gourmands qui voit bouger les êtres et les choses qui l’entourent et qu’il ne peut nommer puisque le langage lui manque, que les mots ne lui viendront que plus tard. Bienheureux petits enfants que je rencontre dans ma rue, sagement installés dans leur poussette et qui me regardent au fond des yeux et que je regarde en souriant. Un peu comme me regarde l’animal; le chat sur mes genoux, le cheval en bordure de barrière, le chien dont je caresse la tête. Petit d’homme qui, selon la fortune, aura des parents qui parleront de ceci plutôt que de cela en utilisant ces mots-ci plutôt que d’autres, indiqueront tel chemin, déposeront dans l’âme du petit être en devenir des trésors ou de sombres dépouilles. J’en vois parfois, hélas, de ces bambins qui semblent déjà abîmés, déjà si vieux. Et alors, je vois leurs parents. Abîmés eux aussi par la vie qu’ils ont menée et qu’ils mènent encore vaille que vaille, soumis aux caprices du sort, meurtris par les injustices et les contrariétés, ballottés malgré eux de la marge à l’exclusion. Et ces autres encore, hommes et femmes, qui paraissent avoir eu un peu plus de chance; soucieux de leur paraître, vêtus à la dernière mode, comme des milliers d’autres, que l’on croise aux terrasses des cafés, dans les rues où sont les boutiques, qui se pavanent et font les beaux, avec les mêmes coiffures, les mêmes lunettes solaires sur les yeux ou au dessus du front. Tout ceux-là paraissent sortis d’une même usine à fabriquer de ces mannequins que l’on voit dans les vitrines. Et déjà leurs petites filles et leurs petits garçons leurs ressemblent, ils n’ont eu qu’une trop brève enfance, ce sont des adultes en miniature avec, déjà, les mêmes manières, les mêmes envies et les mêmes rêves étriqués et mesquins. Ils sont de ces enfants à qui l’on offrira un émouvant chiot vu à l’étalage et que, devenu chien encombrant, on abandonnera l’été suivant au bord de l’autoroute, en partant pour les plages espagnoles. Mais de cela, de ce constat amer, je ne peux ni ne veux tirer de conclusion d’aucune sorte. Car, parfois, il s’en faut de si peu pour qu’une destinée, un avenir se dessine autrement que ce qui semblait si terriblement aller de soi. Ce gamin aura un maître d’école qui saura éveiller en lui l’intérêt pour telle ou telle chose de la vie, cette discipline-ci ou cette autre. Il aura un compagnon de jeu qui le mènera vers de petites aventures anodines où se découvrent subitement l’attrait et le désir d’un de ces ailleurs qui conduisent l’esprit au-delà des choses convenues. Et alors, la fragile chrysalide, découvrant ses ailes lumineuses et colorées, prend son envol et s’en va conquérir cela pour quoi il ne semblait pas être fait et à quoi rien ne l’avait préparé. L’enfant, dès cet instant, commencera de s’appartenir et entreprendra de gravir les étapes de ce que devrait être pour tous l’âge adulte. J’entends, la claire et sereine conscience de ce que nous ne faisons que passer, même si certaines heures semblent parfois nous mettre en présence de l’éternité. J’entends, aussi, qu’être adulte c’est savoir que nous sommes capables de choisir et que toutes nos actions sont placées sous le signe de l’arbitraire. Nous passons, oui; et de ce passage nous sommes les maîtres, nous avons à en être les maîtres. Je ne vois pas que les seules contingences sociales ou une quelconque prétendue prédestination génétique puisse suffire à rendre compte ou justifier notre incapacité à chercher le vrai, à vivre gaiement et courageusement ce que nous n’aurons à vivre qu’une seule fois. Nous sommes comptables de nos richesses comme de nos manques, de nos échecs comme de nos réussites. Mais nous le sommes, surtout, de ces fameuses «poussières de bonheur» que nous n’avons qu’à savoir et, surtout, vouloir saisir.