lundi 9 mars 2009

17 mai 2008

J'écris ceci sur un clavier qui n'est pas celui dont j'use d'ordinaire, assis sur une chaise à fond de paille tressée, devant une fenêtre ouverte qui donne sur un arbuste aux fleurs rouges dont j'ignore le nom. L'air est chaud et tendre, il y a, au dehors, des dizaines d'oiseaux qui chantent. On est dimanche et je suis loin, très loin de mon quartier, de mes petites habitudes. Je peux bien vous le confier, j'ai accepté l'invitation de Paul et Michèle, qui sont de vieux amis de l'amie Denise avec qui j'ai fait, en train, ce long voyage jusqu'ici, dans cette merveilleuse région de France qu'est la Bretagne, que je découvre au jour le jour, avec bonheur. Mais je ne vais pas m'étendre là dessus; j'ai toujours trouvé ridicules les compte-rendus de vacances et de voyages. Simplement, je ne regrette pas d'être venu. Cette maison est un régal, mes hôtes prévenants, la nourritue excellente, le petit village accueillant, les paysages verdoyants, pour la première fois de ma vie, j'ai trempé mes pieds dans l'eau salée de l'océan atlantique. Et comme de bien entendu, je me sens ici, dans le pays de France, comme chez moi. Et puis le mois de mai s'écoule jusqu'ici sans remous significatifs, dans l'exagone tout au moins, les journaux nous donnent des nouvelles du monde qui va son chemin chaotique et incertain. Il y a, partout, de grandes douleurs, des morts par dizaines de milliers, des guerres sur le point d'éclater ou qui durent encore et Paul et Michèle travaillent au jardin, Denise prépare une partie du dîner de ce soir et moi je suis là, à écrire. Le sort du monde ne nous appartient pas. Je lève les yeux, je vois la glycine, sur le mur de la remise, en face de la fenêtre de cette chambre du rez-de-chaussée où un papillon vient juste d'entrer et sortir, des bourdons et des abeilles butinent les innombrables fleurs du jardin, le lézard aperçu hier matin dans la rocaille doit se reposer dans l'ombre propice, les hirondelles dansent au ciel, les pinsons chantent à tue-tête et, dans des bureaux climatisés, loin des regards, des hommes en uniforme élaborent des stratégies, se penchent sur des cartes, évaluent les risques et les chances de telle entreprise pendant que d'autres, en Irak, en Afghanistan et ailleurs, tuent et se font tuer. Pour de prétendues bonnes raisons, pour de fallacieuses justes causes. Je n'y puis rien faire, ni vous non plus. Des humains, hommes et femmes, qui me ressemblent et qui vous ressemblent, qui ont, comme vous et moi, des yeux, des mains et un coeur capable de s'émouvoir devant le visage d'un enfant, la souffrance d'un proche et qui, bien qu'ayant figure humaine, par leurs agissements aveugles à toute compassion, font et défont des fortunes, achètent et vendent, calculent et gagnent et puis perdent des sommes d'argent en dollars, en euros, en yen, en actions, font s'affoller les cours du pétrole, grimper ceux des céréales, s'engloutir des empires financiers, affament des populations entières, en Afrique, en Amérique latine, dans le lointain orient. Tout cela sans états d'âme, de la même manière que le fonctionnaire consciencieux de telle administration raie d'un trait de plume ou sous la pression d'une touche de clavier d'ordinateur la demande d'asile d'un pauvre bougre que des fonctionnaires de police embarqueront de force dans un avion pour le ramener dans son pays d'origine. Ainsi va le triste monde. Il y aura quelques dizaines de manifestants qui réclameront un peu plus d'humanité et de justice, on les dispersera avec plus ou moins de rigueur et force restera à la loi et à l'ordre public. Impuissants, nous seront quelques-uns à commenter tout cela en hochant gravement la tête, d'autres, parfaitement indifférents, penseront seulement que ce n'est vraiment pas leurs affaires et que, voyez vous, mon bon monsieur, nous avons déjà tellement de problèmes... Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui, hélas. Et leurs baisers au loin les suivent. Ici, à Kerfacile, un merle chante et les hirondelles sont en chasse.






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