lundi 9 mars 2009

19 avril 2008

Mon pt'tit Pierrot, je sais que tu n'aurais pas aimé ça et je vais donc m'abstenir. Je ne dirais rien à l'occasion du vingtième anniversaire de ton départ pour le paradis des rigolos amers. Remarque, d'un autre côté, comme tu n'es plus là pour seulement penser vouloir m'en empêcher, je ne vois pas, tout compte fait, pourquoi je ne jouirai pas de la liberté qui est la mienne de dire quelques mots à ton endroit plutôt qu'à ton derrière. Juste comme ça, en passant et l'air de ne pas y toucher, seulement parce que j'en ai la furieuse envie et que, vois-tu, cet anniversaire tombe à un fameux bon moment. C'est que vingt ans ont passés et que les choses sont encore plus pires que quand tu étais là à dégoiser à propos de tout et de rien. Au reste, j'ai beaucoup de peine à t'imaginer, presque complètement dégarni du haut et arrondi du bas, ta gentille petite gueule aussi ravagée que celle de Jean D'Ormesson, la voix altérée par les cigarettes, le dos légèrement courbé par le poids des ans, le cerveau ramolli par Halzeimer ou tes mains confiées aux bons soins de Monsieur Parkinson. Tout compte fait, et bien que ce soit à ton corps défendant, il n'est pas vraiment triste que tu ne sois plus là et tu n'as pas à avoir le moindre regret. Ca ne dépendrait que de moi et si je n'étais pas aussi scandaleusement en bonne santé et attaché à mes petites habitudes et à mes amis, je pourrai tout aussi bien faire comme les baleines et bloquer ma respiration. Le problème c'est que j'ai peur de l'eau et que je ne sais pas nager. Et puis, bloquer ma respiration... faut pas trop m'en demander, non plus. Donc, Pierrot, tu es mort et enterré au Père La chaise, moi je suis vivant et ça me donne des droits, à commencer par celui de faire ici, maladroitement et dans une confusion qui ne t'aurais pas échappé, l'éloge de ton irremplaçable personne. Oui, Pierrot, tu es irremplaçable tandis que moi je ne suis qu'indispensable. Et ça fait une fameuse différence. Pour le centième anniversaire de ta naissance on inaugurera une rue ou une place de Paris qui portera ton nom alors que je n'aurai même pas droit à une impasse ou à la plus misérable ruelle de la ville qui m'a vu naître. Les belges sont ingrats, les français sont des veaux, les riches sont des salauds et les pauvres n'ont qu'à la fermer. D'ailleurs, tu vas voir. Pour résoudre le problème de la famine qui commence à frapper très fort un peu partout et pour mettre un terme à la misère galopante qui fait de l'ombre à la scandaleuse richesse d'une poignée d'égoïstes, les stratèges et les conseillers de l'ombre de l'administration américaine ont en réserve de fructueuses cogitations qui n'attendent que de se concrétiser le moment venu. Oui, mon petit Pierre, il y en a qui pensent très sérieusement que si les pauvres ne meurent pas de faim en quantité appréciable, il faudra en passer par d'autres et plus radicales mesures. Ce ne sont pas les prétextes qui manquent, aujourd'hui, pour délencher des conflits armés de grande ampleur. Ce sera pour le pétrole, pour l'eau ou pour d'autres raisons, il importe peu, mais le résultat attendu devrait rencontrer les attentes légitimes des propriétaires du monde. Ils disposent, les bougres, d'une belle panoplie d'armes de toutes sortes et de tous calibres qui peuvent supprimer le quart ou la totalité des habitants des régions les plus peuplées de crèves-la-faim sans altérer l'environnement – ou alors si peu- et les infrastructures industrielles alentours. Etonnant, non ? Voilà mon Desproginou, voilà où on en est, vingt ans après. Et que tu restes sans voix ne m'étonne qu'à moitié. Moi même, j'ai de plus en plus de difficultés à aligner les mots pour dire à quel point je suis scandalisé et honteux d'appartenir au même genre que ces salauds. Entre-nous, je me verrai tout aussi bien dans la peau d'un artichaut ou d'un concombre...





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