lundi 9 mars 2009

22 mars 2008

Vous savez quel jour on est, là ? Samedi 22 mars. Ca vous dit quelque-chose, le 22 mars, non? Hé bien je vais vous raffraîchir la mémoire. C'était un vendredi soir, il y a tout juste quarante ans. Un groupe d'étudiants de l'Université de Nanterre, emmenés par un certain Daniel Cohn-Bendit, décident d'occuper le rectorat, dans la tour administrative de l'Institution, pour protester contre l'arrestation, par la police, quelques heures plus tôt, de militants du comité Viêt-Nâm. C'est ce jour là que tout a commencé. Dans les heures qui suivent et par un enchaînement dont seul l'histoire a le secret, les évènements vont se précipiter. Le recteur décide de la suspension des cours jusqu'au 1er avril, le 3 mai, meeting dans la cour de la Sorbonne et première intervention de la police qui tourne à l'émeute dans le quartier Latin, le 4 suspension des cours à la Sorbonne et appel à la grève illimitée par les syndicats étudiants et enseignants; le 6 comparution de Cohn-Bendit et d'autres étudiants devant la commission disciplinaire, nouvelle manifestation et affrontements violents entre CRS et étudiants et premières barricades, Alain Peyreffite, le 9 déclare que la Sorbonne restera fermée jusqu'au retour au calme; le 10, nouvelle nuit d'émeutes et d'affrontements et, le 11 les grands syndicats ouvriers appellent à la grève générale pour le 13 mai. Et puis le mois de mai enivrant, exaltant, sautillant, frais et rafraîchissant me rentre dedans, littéralement, au sens le plus aigu du terme. Je suis tout cela de loin, bien évidemment. Je n'ai pas le loisir de quitter mon petit boulot d'alors, j'ai ici des obligations auxquelles je ne peux me soustraire et c'est par la radio, les journaux – “Le Monde”, qui n'est pas en grève, essentiellement – que je prends, au jour le jour, la mesure de ce qui se passe là bas, à Paris et en Province. Et je suis ébranlé, chahuté, bousculé et enthousiasmé par ce que j'entends et ce que je lis. Partout, sur les palliers, sur les places et dans les rues, c'est un bavardage incessant, des gens qui ne s'étaient jamais adressé la parole se lancent dans des palabres interminables à propos de ce qui éclate, là autour d'eux, comme un soleil inattendu, comme une comète ou un arc-en-ciel. Oui, il y a des couleurs dans l'air, un souffle joyeux et comme enfantin fait se disperser les odeurs âcres des lacrymogènes; et dans les usines, les bureaux, les gares et les grands magasins en grève, à la Sorbonne et au théâtre de l'Odéon, on fait la fête, on danse, on discute à longueur de journée pendant qu'on entre et qu'on sort des Ministères comme du premier bistro venu tant la panique règne au sommet d'un état en voie de dissolution. Des foules immenses défilent, on se bat encore au Quartier Latin; des particuliers ouvrent leurs portes aux émeutiers poursuivis jusque dans les porches des immeubles par des policiers exténués et rageurs, les murs se couvrent de poésie et d'adresses de toutes sortes, le vieux monde tremble, le vieux monde a peur, il voit le spectre de sa fin s'agiter gaiement devant lui. Aujourd'hui le vieux monde a vaincu. Tout est redevenu comme avant cette fougueuse parenthèe, en pire. Tout ce qui était en jeu pendant ces journées et ces nuits, la soif éperdue de la beauté de la vie libérée de ses entraves, le jeu comme pratique quotidienne, la parole et les disputes joyeuses par delà toutes les conventions sont maintenant prisonnières des discours de la nécessité la plus vulgaire. Le monde se donne des allures de jeunesse et d'innovations merveilleuses mais il est plus vieux encore et plus indécent qu'à l'aube de ce printemps qui coule en moi comme une rivière de feu et de colères. Et je brûle encore. Et toujours, jusqu'à mon dernier souffle, je chérirai ce bel incendie.




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