Vous n’irez pas jusqu’ à prétendre qu’il ne vous est jamais arrivé de ressentir une antipathie quasi immédiate en présence de telle ou telle personne, croisée au hasard des réunions et rassemblements divers, comme les sorties de cinéma, les vernissages, enfin, de ces moments propices aux rencontres plus ou moins conventionnelles où l’on va pour voir mais surtout pour être vu. Dans les villes de province, il se constitue ainsi, des cercles, des chapelles qui ont leurs fidèles, toujours les mêmes, qui se retrouvent, par exemple, dans les même galeries pour admirer, congratuler et flatter l’un des leurs et tout ce petit monde se bouscule gentiment, se pousse au buffet, s’embrasse et se trémousse, jette des regards distraits sur les pièces exposées et quand le maître passe par là, on l’arrête, on le tire par la manche, on lui pousse un verre vin dans la main, on l’assure que ce qu’il a fait là est fan-ta-stique, que c’est tout l’art contemporain qui va s’en trouvé bouleversé à jamais ce dont, bien évidemment, le vieux briscard ne doute absolument pas, boursouflé qu’il est de sa propre importance. Et, au milieu de cette assemblée, vous reconnaissez ce type, ou cette dame, dont il vous revient que vous ne pouvez absolument pas supporter sa tête, ou ses mains, ou la façon qu’il ou qu’elle a de ponctuer chacune de ses phrases du ridicule et hélas largement partagé “quelque-part”. Allez, je vous le fait, rien que l’emmerder: “Tu vois, le type, quand il donne ce coup de pinceau, là, le gris, juste à côté du triangle, c’est clair que, quelque-part, il veut faire passer cette idée que, quelque-part, on est baisé par la vie, tu vois? Et que, quelque-part, la peinture, vue sous cet aspect là, c’est aussi, quelque-part, une remise en question de la condition de l’artiste dans la société bourgeoise qui induit, quelque-part, que l’art contemporain est, quelque-part, en opposition symbolique avec les valeurs de la bourgeoisie qui sont, quelque-part, le reflet de la vieille idée qui voudrait que, quelque-part, l’artiste soit seul face à son devenir artiste alors qu’en réalité, quelque-part, ce qui l’intéresse, c’est de se payer un sandwich jambon-beurre plutôt que, quelque-part, crever la bouche ouverte, quelque-part...” Ah, ça fait du bien, il y avait un bail que j’avais envie de régler son compte à cette stupidité cultureuse de gauche et que vous soyez quelques-une ou quelques-uns à en avoir pris plein les gencives ça me rempli d’aise, quelque-part... Mais bon, revenons-en à cette gonzesse ou à cette raclure de bidet. A un moment, par la grâce des mouvements divers que la foule, en se déplaçant, provoque, vous vous trouvez face à face avec ce qui persiste à vous apparaître comme tout à fait insupportable, ce type, ou cette nana. Et puis, la chose vous parle, à vous, vous demande si vous habitez chez vos parents, si vous préférez Schubert à Béla Bartók et si, par hasard, vous ne pourriez pas lui filer une cigarette en échange d’un verre de vin rouge amer. Il se passe alors ce phénomène étonnant - je l’ai vécu à l’une ou l’autre occasion, je sais de quoi je cause - ce monsieur ou cette greluche, tout à coup, il ou elle vous apparaît sous un angle tout à fait inattendu; sous le verni du paraître, voici que se présente à vous “Quelqu’un”.C’est la leçon magistrale du fort beau film de Jaoui et Bacri, “Le goût des autres” que nous découvrîmes, l’autre samedi, ma chérie et moi. Cela dit - merci d’être resté en ma compagnie jusqu’ici - je suis mandaté par quelques-unes de mes connaissances pour interpeller publiquement le dieu tout puissant qui, de là haut, fait la pluie et le beau temps pour lui poser la question suivante: Et alors, ce printemps, ça vient, oui ou merde? J’ai donc téléphoné à dieu au 00.00.00.14.17.18.36.39.40.45.56.58.68.1515. mais la ligne était occupée. Plus tard, j’ai pu parler à son attaché de presse qui nous demande un peu de patience, tout est mis en oeuvre pour remédier aux actuels désagréments dont, paraît-il, dieu n’est pas responsable, quelque-part...
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