Je le dis sans rire, si j'avais pu choisir le lieu et l'époque de ma naissance , il ne fait aucun doute que Rome, à l'apogée de sa puissance et de son rayonnement aurait parfaitement fait l'affaire. Je n'ai aucune difficulté à m'imaginer dans la peau d'un Empereur, d'un sénateur ou, plus simplement d'un honnête artisan, Romain, bien sûr, histoire de ne pas donner l'impression de péter plus haut que mon cul et de jouer à Paco Rabane qui, lui, ne peut évidemment pas avoir été, dans une de ses nombreuses prétendues vies antérieures, autre chose qu'un personnage riche, influent et célèbre. Tenez, à la rigueur, je suis même prêt à me mettre dans la peau d'un esclave doux et dévoué à son maître, attendant patiemment l'heure de son affranchissement ce qui ne me changerait pas tellement de la vie, tout à fait réelle, que j'ai mené jusqu'ici, la seule différence étant que j'ai eu plusieurs maîtres et qu'aucun d'eux n' a jugé bon de faire de moi un citoyen digne de ce nom. Gladiateur, je ne sais pas, j'hésite... à proprement parler je n'ai pas vraiment le physique, me manque une bonne vingtaine de kilos et au moins trente centimètres de plus - en hauteur, bien sûr - pour prétendre être en mesure de faire face aux féroces barbares Germains qui enthousiasmaient les spectateurs du cirque du temps de l'Empereur Commode qui a existé et qui, je l'ai vérifié dans un excellent livre consacré à la civilisation Romaine, a effectivement combattu dans l'arène mais sans y laisser la vie, faut pas exagérer, non plus. Ce préambule pour vous faire part de mon enthousiasme relativement au film de Ridley Scott, un enthousiasme tel que je l'ai vu deux fois et que je n'en manquerais pas une troisième si j'en ai l'occasion. Et vous n'y échapperez pas, je m'en vais, ici même et pas plus tard que tout de suite, vous dire ce qui, selon moi, ressort de tout cela. Pour commencer, ceci: je regarde autour de moi, je vais de là à là, de rues en rues et de places en places, j'ouvre le journal du jour et que vois-je ? Je croise des passants agglutinés devant les devantures des magasins, je monte dans l'autobus, j'entre dans le bistrot de mon quartier et qu'entends-je ? La réponse est simple; je ne vois rien, je n'entends rien. Sinon de vagues silhouettes l'oreille collée au téléphone portable, sinon des propos insanes sur la pluie et le beau temps. Rien, il ne se passe rien, un sous-marin au fond d'une mer lointaine, un avion écrasé je ne sais où, un ministre qui fait l'article et vante sa dernière trouvaille; à part ça, rien. Pas de menaces à nos frontières, pas de barbares aux portes de nos cités, pas d'aventures. Des vieilles dames détroussées, des bagarres dans les bars de banlieue, des files d'automobiles sur les autoroutes et le prix de l'essence qui augmente; autant dire, rien. Des cancéreux en phase terminale, à l'abri des regards, au creux de lits anonymes, des chiffres plus ou moins alarmants sur les morts provoquées par les gaz d'échappement des bagnoles, je ne sais au juste combien de centaines de millions de bagnoles sur l'ensemble de la planète et, par dessus tout ça, un refus de la mort, une panique abjecte à la seule idée de la mort, le désir, partout de l'absence de la mort, la négation de la mort. Chez les Romains, non pas le désir de la mort mais sa présence, partout acceptée, dans la guerre comme dans la paix, le courage devant la mort, par le glaive ou la flèche. Ici, maintenant, le premier flocon de neige provoque des paniques ridicules, les pannes de courant électrique plonge des villes entières dans le désarrois et le désordre, nous sommes, devant les forces de la nature, aussi démunis que des enfants; nos dieux sont en voie de perdition, la magie et les beautés du monde sont mis en boîte et sur disques magnétiques et nos gosses font la guerre devant leurs consoles de jeu vidéos. Ce qui me réjouis, je le dis avec le plus grand sérieux, c'est que cette civilisation de toc et de frivolités tristes ne durera plus longtemps; dans dix ou cinquante ans s'en sera fini de cette farce et, avec cette époque, c'est le souvenir de ce que Rome nous avait légué qui disparaîtra.
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