Nous allons au cinéma pour nous distraire, c'est une chose qui me paraît claire, de la même façon, nous visitons les musées, courons les expositions, allons au théâtre et traînons dans les cafés parfois pendant des nuits entières pour passer le temps qui n'est là que pour que nous passions; et effectivement, nous passons dans les mailles de ce filet et, à la fin, le filet se referme sur nous sans que nous ayons compris quoi que ce soit à la raison de notre présence dans le monde. Les physiciens vont-ils au cinéma ? Et les astronomes, les astro-physiciens ? peut-être oui, peut-être non, je n'en sais rien; ce que je découvre, en tout cas, au fil de mes lectures et de mes méditations c'est, de plus en plus, des raisons de ne pas me distraire. Car voyez vous, si il y a beaucoup de merveilleux dans les manifestations de l'art (et le cinéma est un art merveilleux, un prodige) les travaux et les découvertes des chercheurs, qui passent leur vie à décortiquer et interroger le réel, la très bête et très tangible réalité - la table, la lumière qui jaillit de la lampe qui éclaire la table, la matière dont est fait le clavier et les touches sur lesquelles j'exerce une infime pression qui font apparaître sur l'écran lumineux les signes et les mots - tout, autour de nous et notre épaisseur existante, la conscience que nous en avons, tout cela et tout le reste est constitué d'une infinité de matières, de matériaux de toutes natures qui ont cette extraordinaire propriété de simplement être là, en nous et autour de nous. L'évidence de ces présences nous est tellement familière, nous sommes tellement habitués à elles que, la plupart du temps, nous en venons à considérer qu'il est juste et bon de s'en distraire. Et alors, nous faisons des enfants, nous travaillons pendant trente ou quarante ans de notre vie, nous devenons des hommes politiques de renom ou des stars de cinéma avec de beaux nichons. Et nous passons à côté du merveilleux le plus merveilleux. Nous savons que la matière est faite d'atomes, c'est tout petit, un atome, on ne le voit pas et pourtant il est là, ils sont là, partout et dans tout; et l'atome, lui-même, est constitué d'un noyau autour duquel gravite les électrons et les quarks et, selon une théorie relativement récente, ces particules seraient non pas d'infiniment minuscules sphères mais de petites cordes vibrantes. Le monde et tout ce qu'il contient, la totalité de tout ce qui existe dans l'univers - qui ne peut se concevoir que comme absolument infini, sans frontières d'aucune sorte - serait rempli de ces milliards de trillions de trillions de trillions de bouts de ficelles tremblotantes qui seraient de la taille d'un cent millième de milliardième de milliardième de milliardième de millimètre, si vous voyez ce que je veux dire. Personne encore n'a vu de ses yeux ces petites choses ridicules qui s'agitent au fond du verre de vin, dans le verre lui-même, au bout des mes doigts qui serrent le verre et dans la lame de rasoir qui, tout à l'heure, va courir sur mes joues et mon menton; et la question que je suis en droit de poser au génial découvreur de la cordelette est la suivante: de quoi est faite la ficelle ? que trouvera-t-on, plus tard, dans les tréfonds de ce qui constitue cette frontière provisoire ? Peut-on d'ailleurs concevoir la moindre frontière dans le sein de la matière ? Si frontière il devait y avoir, cela signifierait qu'à un moment donné la matière s'arrête, qu'en deça d'une limite donnée il pourrait ne plus rien y avoir et cela est absolument impossible à imaginer car le tout ne peut reposer sur du rien et donc, dans la ficelle il doit encore y avoir de la matière et dans cette matière encore de la matière et dans cette matière etc, etc. On n'est pas sorti de cette fabuleuse auberge et la réponse ultime aux millions de questions que nous nous posons depuis que nous savons que nous avons un cerveau et qu'il doit bien servir à autre chose qu'à choisir un détergent plutôt qu'un autre, la réponse ultime, qui va de la philosophie à la métaphysique en passant par toutes les sciences exactes, il faudra sans doute attendre encore longtemps avant de la connaître; mais l'important comme le disait Barjavel, ce n'est pas tant la réponse que les questions et je suis heureux que vous vous les posiez...
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