Ce n’est pas qu’il entre dans mes intentions de vous distraire des graves questions qui sont présentement à l’ordre du jour et dont je suis sûr qu’elles vous turlupinent, mais ne comptez pas sur moi pour venir ici donner des leçons d’art militaire aux stratèges de l’un ou l’autre camp ou pour y aller d’un quelconque couplet moralisateur quant à la triste et lamentable affaire dont les journaux télévisés ou autres vous entretiennent à longueur de journées. Vous savez fort bien que tout cela ne m’est pas indifférent. La seule chose que je puisse constater, c’est mon impuissance radicale à influer d’une manière ou d’une autre sur le cours de ces événements et, conséquemment, il me paraît préférable de n’en rien dire. Je m’en vais donc vous parler des petites bestioles qui gambadent dans vos jardins, dans les prairies et les forêts et, parfois, à la grande frayeur de certaines d’entre-vous, Mesdames, sur le sol carrelé et parfaitement récuré de votre cuisine. Vous savez bien, la grosse araignée velue qui s’élance de dessous l’évier et qui fonce, tête baissée, vers l’armoire à provisions, dans l’espoir d’y trouver de quoi satisfaire une fringale aussi subite qu’irraisonnée ou bien encore pour en ramener les provisions nécessaires à l’alimentation de sa nombreuse - très nombreuse - progéniture qui grouille et frétille dans l’ombre fraîche du petit meuble en stratifié qui supporte le baquet en acier inoxydable dans lequel, en toute quiétude, vous laviez, en chantonnant, la vaisselle du déjeuner. Et maintenant, vous voici debout sur une chaise, en proie à la plus extrême frayeur, appelant votre mari ou le voisin le plus proche au secours, poussant des hurlements et trépignant au risque de faire une chute malencontreuse du haut du fragile édifice et, par la même occasion, d’écrabouiller l’innocente petite bête affolée par vos cris. Allons, Madame, du calme, détendez vous, reprenez vos esprits, ne vous laissez pas abuser par l’apparence du petit animal. Certes, il est velu; mais votre mari ne l’est-il pas autant sinon plus que lui ? Certes, il a huit pattes et non deux comme vous et moi et bien sûr il va vite; mais mettez-vous un instant à sa place, imaginez sa position dans cet univers hostile rempli de monstres gigantesques qui ne regardent pas où ils mettent les pieds et qui, parfois, par pur caprice, par inconscience ou par méchanceté, les posent exprès sur le dos de ces innocentes créatures, exercent une brusque pression et, prouitch, les tuent. Ca ne vous donnerait pas envie de courir, à vous ? Essayez tout de même de comprendre que si le Créateur, dans Son infinie Sagesse, a voulu que le monde soit ainsi habité par une multitude d’êtres de toutes tailles et d’apparences aussi diverses que surprenantes, c’est qu’il avait pour cela d’excellentes raisons. Et si il n’y a pas de Créateur mais seulement une suite effarante de hasards et de nécessités, qu’est-ce que ça change, le résultat est le même. L’ordre de la nature, pour peu que nous soyons conscient de l’étendue de sa perfection et de sa cohésion, ne devrait provoquer en nous que la plus extrême admiration et le plus profond respect. La précision minutieuse avec laquelle chaque membre de toutes les espèces connues est pourvu des attributs les plus appropriés à sa survie et à sa perpétuation est proprement extraordinaire. Des grands mammifères marins aux sociétés de fourmis, de la coccinelle aux meutes de loups, de la tribu des éléphants au couple d’oiseaux inséparables, une harmonie parfaite est à l’oeuvre. Cette harmonie, ce chant grandiose qui monte d’une prairie à la tombée du jour, si nous étions mieux à même de l’écouter en silence, de le goûter et de l’aimer, sans doute alors aurions-nous les meilleures chances de vivre dans la paix...
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