Il y a de ces films que l’on peut voir une bonne dizaine de fois sans qu’aucune lassitude ne vienne troubler le parfait ordonnancement de sa construction et la non moins parfaite expression de son propos. Exemple: “Mort à Venise” du grand Visconti que l’on trouve dans les bonnes médiathèque et qui, de loin en loin, est rediffusé sur l’une ou l’autre chaîne de télévision. Cette oeuvre, parmi quelques autres, fait partie de ce que j’ai envie d’appeler la part la plus belle et la plus bouleversante de la création -entendez, la création éminemment artistique- de ce siècle finissant. Car, oui, et c’est la là une des leçon de ce film, les êtres passent et meurent, les civilisations vont vers leur apogée et finissent par s’éteindre, l’histoire est une longue suite d ‘événements de toutes natures, dans le tourbillon desquels les hommes sont emmenés contre leur grés; ce flot incessant n’épargne personne et, que l’on soit artiste ou jeune éphèbe, un jour vient où, dans l’épidémie ou dans la guerre, la vie, soudain, nous confronte à l’essentiel. Et l’essentiel de la vie, au bout du compte, après tant et tant de considérations sur ce qui pourrait en constituer le sens ou la destination première, l’essentiel de la vie débouche sur son inéluctable et problématique fin. On aura bon eu, dans la fièvre de la création ou de l’amour, chercher à arracher ses secrets et ses énigmes, la vie finira par nous faire défaut. De la même manière, la puérile croyance en la permanence des entreprises humaines inscrites dans les moments de l’histoire est tout aussi illusoire et mensongère. Jamais et en aucun temps, les temples érigés par la vanité et pour la gloire du règne de l’homme n’ont résistés aux vicissitudes et aux caprices du hasard ni aux cataclysmes imprévisibles engendrés par la nature. Tout cela n’empêche pas qu’au fil des siècles il se soit trouvé des hommes et des femmes pour, inlassablement, avec une volonté farouche et, parfois, au péril de leur vie, chercher, chercher encore, dans l’immense et umultueuse manifestation des phénomènes, la réponse ultime à la question première: pourquoi ? Pourquoi et pour qui celui-ci donne-t-il au monde cette musique d’une indicible mélancolie, pourquoi cet autre emmène-t-il les foules dans des danses joyeuses et pourquoi celui-là les grise-t-elles de chants barbares qui les mènent sur les chants de batailles ? Dans le fracas de la mitraille, dans la fumée et au milieu des incendies, bondissant au dessus des cadavres, le poète est à la guerre. Tout à l’heure, si la chance lui a sourit, il reprendra son souffle au fond de la tranchée boueuse, il verra les blessés que l’on emmène vers l’arrière et les morts entassés au bord des fosses communes. Il fermera les yeux, il se mettra à rêver et à se souvenir. Il fera venir, du fond de sa conscience, le visage de cette femme qui l’attend, là bas, si loin, trop loin. Il entendra sa voix et son rire clair fera des ronds dans ses pensées. Le poète est à la guerre ou bien encore, le poète est dans cette ville étrangère où les gens parlent une langue inconnue; il va de rues en places, gravit des collines verdoyantes, et, dans le sillon d’un vallon baigné de soleil, longe une rivière où se reflète le bleu du ciel. Le poète est dans le monde, avec tous les autres hommes. Mais le monde se moque bien du poète, il a bien autre chose à faire, le monde, que s’inquiéter du sort de ce fragile conglomérat de particules et de viande. Il va son chemin borné et rigoureux, le monde. Il va vers sa fin, il chemine aveuglément au milieu des périls qu’il fait naître, il est sourd aux cris qui montent de toutes parts; il est beau et cruel, le monde, notre monde...
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