Qu’est-ce qui distingue fondamentalement voire même essentiellement un homme - ou une femme - d’une fourmi ordinaire, ouvrière, par exemple, d’une quelconque colonie du Jura français ? Voilà n’est-ce pas une fort intéressante question, à laquelle je m’empresse de répondre. Observons, tout d’abord, que la fourmi possède six pattes : deux devant, deux derrière et deux au milieu alors que l’homme - ou la femme - ne possède que deux jambes et deux bras, lesquels ne sont d’aucune utilité pour la marche ou la course à pied. Par contre, pour ce qui est de la natation, les bras sont d’un apport non négligeable de même que, pour se tenir en équilibre dans un autobus bourré de jeunes au regard éteint sous la visière de leurs casquettes de base-ball qui encombrent - les jeunes pas les casquettes - les sièges vacants de leurs sacs-à-dos géants (à moins que ce ne soit des parachutes) il est recommandé de se servir des mains qui se trouvent au bout des bras pour se cramponner aux mains-courantes afin de ne pas risquer d’être précipité dans la masse compacte de la belle jeunesse de banlieue, au milieu de laquelle - la masse compacte, pas la banlieue - l’une ou l’autre veille dame, à laquelle aucun de ces abrutis ne songe un seul instant à céder une place assise, vacille sur ses pauvres vieilles jambes, en s’agrippant, d’une part à son sac à main et, d’autre part, à une portion congrue de barre d’acier, placée à la verticale et à laquelle une demi-douzaine d’autres mains aux ongles douteux ou rongés jusqu’au coude, s’agrippent, elles aussi, dans un désordre bruyant frisant même, à certains moments, la pire des vulgarités. Les fourmis, elles, ont bien de la chance, elles trottinent et vaquent à leurs petites affaires; à l’occasion, elles se lancent à corps perdus dans des batailles à côté desquelles Austerlitz, Stalingrad ou le débarquement de Normandie, c’est de la gnognote, elles bossent comme des malades et ne connaissent pas les affres du chômage et de l’inactivité. Quant aux hommes - et aux femmes - si on les laissait faire, ils ne se réjouiraient de rien tant qu’à la perspective de vacances perpétuelles, contrairement aux affirmations mensongères, voire même franchement fallacieuses des politiciens et technocrates qui, du nord au sud du vieux continent et quelles que soient les infimes divergences qui les distinguent à peine les uns des autres, ne cessent de proclamer que seul le labeur et l’abrutissement rendent libre et heureux. Il y a aussi des journalistes qui font les intéressants en tentant de nous faire accroire que les fourmis sont des bestioles foncièrement malheureuses parce qu’elles ne jouissent pas de leur libre-arbitre : leur genre les oblige à travailler de l’aube au coucher du soleil et ne goûtent pas, ni ne goûteront jamais, à la grandiose liberté qui consiste, pour l’homme - et pour la femme - à pouvoir choisir la couleur de sa bagnole ou la marque de sa poudre à lessiver. Je prétends, moi, que la seule créature terrestre capable de connaître le malheur d’exister, de devoir travailler pour seulement avoir accès à la nourriture, d’aller à la guerre contre son gré, de se demander où elle passera ses prochaines vacances, c’est l’homme - ou la femme. Quant aux fourmis, on peut bien les filmer sous toutes les coutures et commenter leur organisation exemplaire, leur ténacité et leur altruisme, elles n’en n’ont rien à foutre. Elles vivent, leurs reines pondent des milliards et des milliards d’oeufs à chaque jour qui passe, et puis elle meurent, voilà. Et quand le dernier homme - ou la dernière femme - passera de vie à trépas, il fera calme et délicieusement silencieux sur cette planète; et les fourmis passeront, indifférentes, à côté du dernier cadavre humain, avant de comprendre qu’il est parfaitement comestible...
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