A part Resnais et Laborit, j’en connais peu qui aient abordé au cinéma la douloureuse et insoluble question du pourquoi et du comment de la vie. Aussi, après vous avoir donné la recette du coup du monde, je m’en vais vous démontrer que la vie, la vôtre et la mienne, c’est une énorme couillonnade. Commençons par le commencement. A l’origine, c’est bien connu et personne n’a jamais démontré le contraire, il y a Adam et Eve qui se baladent tout nus dans les luxuriants jardins de l’Eden, du paradis terrestre si vous préférez. Et puis, elle mange la pomme qui est accrochée à l’arbre de la connaissance et les ennuis commencent... Les choses eussent-elles été différentes si elle avait cueilli une banane ou déterré une carotte ? C’est fort possible mais là n’est pas la question. Ce qu’on retiendra c’est que le créateur, fort en colère, s’écria, de là haut dans les cieux “Ah, ah, coquine, mauvaise fille !” et, dans la foulée, il jeta l’anathème sur toute la descendance du couple primordial, c’est à dire sur vous et moi. Anathème signifiant à peu près ceci : Vous irez bosser tous les jours ouvrables à la sueur de votre front, vous gagnerez juste de quoi bouffer et acheter une bagnole à crédit, vous prendrez une retraite bien méritée, vous choperez le cancer ou la leucémie, j'inventerai les syndicats et le patronat, l’argent et la bourse. Les femmes enfanteront dans la douleur des enfants qui iront à la crêche pendant que maman sera à l’usine à poissons à tailler des filets de soles, de plies ou de cabillauds sur un tapis roulant, huit heures par jour pendant grosso-modo trente ans. Pendant l’accouchement, les papas fumeront des cigarettes dans la salle d’attente et auront droit à un jour de congé pour le baptême, qu’ils ne viennent pas se plaindre. Mais la vie - grâce soit rendue à notre Seigneur tout là haut dans les nuages - ne se résume pas à cela, il y a des compensations. Par exemple, on peut naître fils ou fille de banquier, d’homme d’affaires influent ou dictateur auquel cas, l’avenir est un peu moins problématique - à certains égards en tout cas - que si on est parachuté dans une famille de prolos dans la banlieue parisienne ou de nègres au Sahel. Mais ne nous éloignons pas de notre sujet et faisons plutôt un effort pour y revenir avec détermination : la vie. D’aucuns disent que c’est merveilleux, la vie. La sève qui monte aux arbres, les fleurs qui font du racolage et attirent les abeilles, les chats qui se culbutent au fond des jardins, les pigeons qui roucoulent dans les jardins publics, les vaches qui font caca dans les verts pâturages et les bébés qui font leurs premiers pas ou qui passent de la couche-culotte au petit pot de plastique bleu-ciel avec Mickey dessiné dessus... Attends de voir, petit bébé, patience. Tu seras un homme, mon fils, tu seras grand et fort et alors tu la verras, la vie, la vraie, l’unique vie que tu auras à vivre jusqu’à l’accident de bagnole, le champ de bataille ou l’hôpital où les infirmières te gueuleront dessus parce que tu auras fait sous toi. Ah, mais tu connaîtras l’amour, les joies ineffables de l’échange sexuel, la tendresse, les soirées au bistrot avec les potes; tu prendras des cuites mémorables, tu iras au foot le dimanche après-midi et, de plus en plus souvent, certains soirs, ta femme aura la migraine. Et un soir, tu rentreras du turbin, vidé, comme tous les autres soirs et, sur la table du salon, ou celle de la cuisine, à côté des restes d’une tasse de café refroidi, il y aura une enveloppe avec dedans un bout de papier sur lequel il sera écrit : “Adieu, je pars”.Tu regarderas par la fenêtre qui donne sur l’échangeur auto-routier, tu verras passer les automobiles, les camions et les ambulances, tu pousseras un énorme soupir en te disant “Quoi, c’est ça, la vie ?”. Puis, tu ouvriras la porte du frigo et tu prendras une bière; tu la boiras à même la bouteille en regardant la télé où de belles images de gens heureux, riches et bien nourris, défileront. Plus tard, seul dans le grand lit, tu repenseras à ton enfance et à tes rêves d’alors et tu pleureras en silence en murmurant : “Maman, maman, oh, maman...”.
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