Les pauvres sont des salauds, parce-qu’ils existent et que, de surcroît, ils le font savoir en acceptant qu’un jeune cinéaste promène sa caméra sur les lieux même où leur misère s’étale sans aucune pudeur. Conséquemment, le jeune cinéaste dont on a pu apprécier sur le petit écran le résultat de ses investigations est, lui aussi, un salaud. Plus d’un demi siècle après le père fondateur du documentaire social, Patrick Jean, avec des moyens dérisoires et un courage qu’il me plaît de saluer ici, a donc permis que soit dévoilées les sordides conditions dans lesquelles des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants vivent, aujourd’ hui, à quelques centaines de mètres des bureaux des maisons communales de ces contrées, dans l’abandon et l’indifférence la plus scandaleuse. Les pauvres sont des salauds et des bons à rien qui sont incapables de prendre les choses du bon côté et de rire à gorge déployées en jouant au football dans les terrains vagues tandis que les jeunes filles, en fredonnant des chants légers, font et défont leurs nattes. Les pauvres sont des salauds et en plus, ils tirent la gueule. Ce que ne supporte pas le bourgmestre de Colfontaine, un certain Yvon Biefnot, ex-président du Parlement wallon qui, pas plus tard que mercredi dernier, a sollicité l’avocat-humaniste bien connu, Marc Uyttendaele afin qu’il veuille bien se charger de lui venir en aide afin d’obtenir réparation des préjudices moraux, intellectuels et politiques que lui crée la diffusion publique du film de Patrick Jean, “Les enfants du Borinage”. Pour ce que j’en sais, il paraîtrait même que le camarade Biefnot s’en va partout répétant que ce film est une entreprise de manipulation de l’opinion publique et que, pire encore, un certain Nicolas Dubois, transfuge du Parti socialiste borain, aurait orienté le document et donc, son auteur, dans le seul but de lui nuire. Moi je crois que les choses sont encore plus graves. Je me demande si ces pauvres existent, si Patrick Jean n’a pas embauché une troupe de comédiens pour jouer les rôles de ces misérables dans des décors de carton-pâte remarquablement reconstitués. Peut-être même est-il allé jusqu’à trouver le parfait sosie de l’infortuné Biefnot et lui dicter la réponse qui a scandalisé une partie, une partie seulement, de l’opinion. Toujours est-il que voilà notre réalisateur dans le collimateur de la justice et que, bientôt, il aura à répondre de ses images et des propos que d’autres ont tenus devant sa caméra. En attendant, le jeune homme ne se démonte pas et c’est tout à son honneur. Il se dit prêt à livrer l’intégralité des rushes du tournage et donc, des interviewes réalisées afin que soit attestés que les propos tenus par le camarade l’ont été en toute connaissance du sujet du tournage et qu’ils reflètent exactement le contenu de l’entretien accordé par l’élu du peuple au cinéaste. Maintenant, soyons sérieux, très sérieux. Il ne fait pas de doute que l’avocat bruxellois acceptera de prendre en charge le dossier et que nous nous trouvions devant un précédant qui pourrait faire école voire même, au cas où Patrick Jean se verrait condamné, jurisprudence. Il se pourrait bien que, un jour prochain, toute tentative de montrer la réalité, d’une façon ou d’une autre, par le film, le texte, la peinture ou la poésie devienne suspecte par le simple fait qu’elle irrite tel ou tel personnage public. Il se pourrait bien que le droit à la libre expression soit en danger dans ce pays et que les caprices et l’arrogance de certains élus tiennent lieux d'unité de mesure à toute entreprise visant à montrer que nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes, loin s’en faut. Je ne peux que suggérer aux gens qui sont les héros malheureux du film de Patrick Jean de passer un coup de fil à un avocat pris au hasard, Graindorge, par exemple, et qu’à leur tour ils assignent le paltoquet pour propos diffamants et méprisants. Que voulez vous mon pauvre Biefnot, vous qui êtes de gauche, la lutte de classes, c’est la lutte de classes, vous êtes bien placé pour le savoir...
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