J’ai une idée, oui, encore, pour en finir avec tout le cinéma et, dans la foulée, avec tout le reste. Il y en a parmi vous qui comprendront, d’autres qui me croiront devenu dément mais, de toute façon, je reconnaîtrai les miens. Pour commencer, il va falloir mettre des caméras aux quatre coins de la planète, engager les meilleurs -Jarmusch, Allen, Kubrick, Loach, Rivette, Resnais et quelques dizaines d’autres. Ensuite, dans un communiqué par moi rédigé et distribué par les agences de presse du monde entier, je donnerai les ordres qui seront aussitôt et universellement exécutés. Vous voulez de la mutation ? Vous allez en avoir, scrogneugneu! Première disposition: considérant que la nature intrinsèque des billets de banque, à quelque monnaie qu’ils appartiennent, est absolument identique à celle des milliards de prospectus publicitaires distribués dans les millions de foyers du monde dit civilisé, les ouvriers chargés de l’impression et de la multiplication des rectangles de papier magique, mettront en marche, partout et en tous lieux, toutes les rotatives disponibles, qui tourneront sans discontinuer pendant des jours et des semaines. Les billets seront alors par milliards et par milliards de trillions promptement et universellement distribués aux foules avides, dans les villes comme dans les campagnes, largués par avions dans les déserts les plus reculés, les savanes et les montagnes afin que tous et chacun puissent constituer les infinies réserves nécessaires à la suite de cette historique opération de salubrité économico-civico-morale. Considérant ensuite que, ainsi pourvus des moyens adéquats, les hommes et les femmes constituant la présente humanité deviendront de plus en plus puissamment de fiers et conquérants consommateurs - cons, sots, mateurs ? - ils auront à coeur et tout est déjà à l’oeuvre, pour cet objectif, aujourd’hui déjà, de consommer furieusement, de consommer dans une allégresse quasi religieuse, tout ce qui est consommable (et qu’est-ce qui ne l’est pas ?) un éternel sourire de satisfaction béate collé sur leur visage. Ce faisant, ils rencontreront les voeux si souvent exprimés par les responsables politiques, tous bords confondus, des nations les plus modernes. Ils accumuleront et dévoreront tout ce qu’il est possible de dévorer et d’accumuler. Chacun pourra à loisir se pourvoir de dizaines de frigidaires, de fours électriques ou à gaz, au choix, de presse-citrons, de centaines de paires de chaussures, de piles géantes de chemises de vestes et de pantalons, de centaines de mètres de cravates, sans compter les téléviseurs, ordinateurs, caméscopes, sèche-cheveux, boîtes de petits pois, de cassoulet, de ravioli à la sauce tomate, repas surgelés, statuettes de Bouddha, automobiles rutilantes par lot de six ou douze en paquets cadeaux, jeux électroniques pour les gosses enfin, tout, absolument tout ce qui pourra être acheté le sera. Les commerçants travailleront jours et nuits, ils embaucheront des cohortes de vendeurs payés à prix d’or, évidemment. Les usines tourneront inlassablement, des millions d’ouvriers enthousiastes rejoindront leurs camarades débordés de labeur. Enfin, les quelques dizaines d’hommes qui possèdent tout ce que le monde contient, verront les billets, les chèques, les actions venir à eux et s’accumuler dans les lieux prévus à cet effet et qu’ils connaissent si bien. Pendant tout ce temps, universellement, les caméras tourneront sans discontinuer et le négatif de tout cela apparaîtra presque simultanément; d’inimaginables catastrophes, naturelles et autres ne tarderont pas à subvenir; mais au moins, elles viendront vite. Elles ne feront aucun quartier et la préhistoire contemporaine prendra fin dans un désordre aussi cocasse que cruel. Pour finir, sur les décombres et pour les quelques survivants disséminés un peu partout, on projettera le dernier film du monde...
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