En ce lendemain de vendredi saint, je n’ai pas envie de parler de cinéma. Et comme la fin du carême est proche et que j’attends cette échéance avec autant de fébrilité que celle qu’éprouvent nos frères musulmans à l’approche de la fin du ramadan, aujourd’hui, je vous parlerai de bouffe. Qui est d’ailleurs fort présente au cinéma, vous voyez qu’on y revient toujours. Dans les bons films, on mange, parfois très bien, comme dans le festin de Babette... ceux à qui ces images n’ont pas donné l’irrépressible envie de se précipiter au resto dès le moment où les lumières se sont rallumées, ceux qui sont rentrés chez eux et n’ont pas dévalisé leur frigo, je les invite à se brancher sur la troisième chaîne radio pour y suivre la très intéressante causerie consacrée à l’évolution du concept de récession boursière de Ricardo à Galbraith. Pour les autres, dans quelques instants, on va se pourlécher les babines mais, auparavant, laissez moi vous dire les privations que j’endure depuis mardi gras; allez, je vous donne un aperçu de mon ordinaire depuis un mois : le matin, deux biscottes, sans beurre, évidemment, un quart de pomme, thé sans sucre, cigarette. Au déjeuner, jambon maigre avec du riz complet cuit à l’eau et, pour dessert, un autre quart de pomme, eau du robinet à la javel. Le soir, pour dîner, hareng au vinaigre et aux oignons, un léger consommé, une tranche de pain noir et le troisième quart de pomme, le quatrième étant tenu en réserve pour la fringale de l’avant coucher. Ca fait quatre semaines que ça dure alors, vous imaginez bien, je fais des rêves de banquets, de ripailles et de partouzes gloutonnesques où des femmes, de gaze et de nylon à peine vêtues m’entourent de toutes parts, tournoyant autour de ma couche à la romaine où, languide et béat, je les vois porter à ma bouche, de leurs doigts graciles aux ongles vermillons, tantôt d’exquises cuisses de lapereaux confites dans le miel des Vosges, tantôt des coquelets fondants après un beau séjour dans une terrine de grès où elles ont baigné dans un jus de cuisson au vin de Franche-Comté, ce délicieux Arbois que l’on me tend dans un verre de cristal, dans lequel se reflète une immense table où s’accumulent les gigots d’agneau piqués d’ail et cuits à la broche, les platées de choucroute préparée l’avant veille par mes soins attentifs et, j’ose le dire, amoureux, des purées pareillement et par moi-même confectionnées avec des patates de premier choix finement écrasées, auxquelles on ajoute, à volonté, du beurre de ferme aussi jaune que le sont les bulles safranées des oeufs de la poule de la ferme d’il y a un instant, que l’on jette (les jaunes d’oeufs, pas la poule) par demi-douzaines, dans la marmite avant de terminer par une crème grasse et épaisse. Les poules, quant à elles, ont cuit dans un bouillon de légumes qui a été passé au tamis, qu’on a lié au beurre manié et à la crème double, avec une garniture de haricots fins agrémentés du beurre de la susdite ferme. A la fin du rêve, l’une des créatures, celle que mon coeur et mes sens ont élue, s’asseoit à mes côtés et me sert le café accompagné d’un cigare de chez Davidov et puis, comme chaque matin depuis 18.448 jours, je me réveille; je me lève, je longe le vestibule qui conduit à la cuisine, les pieds nus sur le dallage glacé, je flanque un coup de pied amical au chat qui se précipite vers moi, la queue dressée en guise de salut -je n’ai, hélas, plus sa santé- j’ouvre l’armoire où sont les biscottes, la confiture d’abricot et le café-chicorée soluble, j’allume la radio et j’écoute les nouvelles du monde et, tout bien considéré, mes rêves sont nettement plus folichons que lui...
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