L’autre soir, deux jolies mains feuilletaient un livre que je regardais par dessus une non moins jolie épaule. Un livre de ou consacré à Franco Zeffirelli qui, je le précise, n’est pas un coureur cycliste italien mais un metteur en scène de cinéma à qui l’on doit, entre autres films, une excellente adaptation de La Traviatta qui n’est pas une spécialité napolitaine mais un opéra fort triste mais très beau avec Violette qui meurt, à la fin, d’une tuberculose, qui n’est pas une variété de pommes de terre mais une maladie fort à la mode au début de ce siècle. Et, dans le bouquin, outre des caractères d’imprimerie rangés dans un ordre parfait, pas mal de photographies où l’on voit le maître manger des ravioli avec Maria Callas, jouer de la trompette avec Dizzie Gillespie, nager avec Gina Lolobrigida et autres activités communes au métier de cinéaste. Et puis d’autres photos encore, prises sur les tournage de Zeffirelli, dont l’une tout à fait extraordinaire, que je m’empresse de vous décrire. On serait à la télé, ce serait vite fait, bien fait, on braquerait une caméra sur la photographie et vous n’auriez qu’à. Mais, en l’occurrence et rien que pour m’embêter, on est à la radio et le seul artifce technique dont je dispose est un microphone, le même ou à peu près que celui qui figure sur la couverture du petit bouquin de votre serviteur, qui sera en librairie tout bientôt, encore quelques jours de patience, je sens que ça vient... Elle a été prise, cette photo, sur le tournage de “Jésus de Nazareth” de, donc, Franco Zeffirelli. On y voit Jésus, enfin, celui qui l’interprète, attaché sommairement à la croix qui l’a rendu célèbre et, au pied de la croix, le cinéaste qui, si j’en juge par son attitude, est en grande discussion avec la doublure du Messie, suspendu là haut et qui n’a pas l’air de trop souffrir puisqu’il sourit au patron qui lui-même sourit. Ce qu’ils peuvent bien se dire à ce moment précis n’est pas indiqué dans la légende qui accompagne le document et on ne peut que le subodorer; sans doute quelques mots avant une prise qui, à l’évidence devait être un plan américain - à partir de la taille - ou un plan serré sur le visage du rédempteur, et c’est ici que ça devient cocasse, les deux pieds du crucifié sont posés bien à plat sur un socle, assurant un confort évident au comédien, au niveau des pieds veux-je dire. Ces pieds qui, tenez vous bien, sont chaussés d’une magnifique paire de pantoufles de laine qui portent, en France, le joli nom de charentaises ! Vous imaginez ? Le Christ, venu racheter les péchés du monde, surtout les vôtres, polissonnes, les pieds dans des charentaises... en train, peut-être de demander au metteur en scène à quelle heure on mange et ce qu’il y a au menu et toutes ces sortes de choses de la vie ordinaire d’un plateau de tournage. Et l’instant d’après, au moment de la prise, la caméra braquée sur lui, peut-être le comédien, pensant tout à coup à ses pantoufles, s’est-il mis à rigoler au lieu de grimacer de douleur en s’adressant à son Père céleste comme indiqué dans le scénario... C’est ça, le cinéma, c’est ça avant tout, le cinéma. Des trucs, des bouts de ficelle, des bricolages et des astuces souvent improvisés au dernier moment par des machinistes dont c’est la spécialité, des comédiens qui ratent leur réplique ou qui ne sont pas dans la lumière, un technicien qui pointe le bout de sa casquette dans le champ de la caméra. Et, au bout du compte, quand des kilomètres de pellicule sont passés par le banc de montage, quand tout le superflu et les ratages ont étés impitoyablement éliminés, nous sommes devant la toile, ébahis, heureux, surpris, émus, bouleversés, rigolards et amoureux. Et nos vie, c’est un peu comme le cinéma. Nous avançons à tâtons, nous faisons des rêves, nous vivons des histoires et puis, tout à la fin, de bouts d’essais en bouts de ficelle, d’hésitations en échecs, nous sommes devant une toile lumineuse sur laquelle un visage apparaît. Et nous savons, nous voulons croire que le mot toujours a enfin un sens. Mon Dieu, mon Dieu, surtout ne coupez pas !
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