mardi 3 février 2009

10 février 1996

J’ai horreur des téléphones portables qu’un nombre toujours croissant de maniaques trimballent dans les lieux dits publics, de terrasses de café en coins de rue, de places en restaurants, polluant de leurs misérables bavardages les quelques endroits où, effectivement et quand ça se trouve, les gens sont susceptibles de se rencontrer. Je hais les porteurs de portables qui prennent des airs de conspirateurs ahuris, juste pour dire à leur robot de bonne-femme qu’ils seront en retard et qu’elle mette le dîner au micro onde ou, même, qui téléphone à leur micro onde pour qu’il mette bobonne au plumard. Qui regardent autour d’eux, l'oeil vague, là où grouillent les inadaptés et les jaloux de leur prétendu standing à la con. Je hais ces tordus de la communication de mes deux qui gobent les slogans racoleurs des marchands de gadgets qui ont trait - le culot tout de même ! - à cette fameuse liberté d’être nulle part et partout avec, en poche, ce vilain jouet pour gamin gâté et attardé. J’en ai marre des porteurs de portables... Mais qu’est-ce qu’ils se racontent les zombies de cette cybercivilisation de malheur que des salauds et des imbéciles nous mijotent dans le secret de leurs laboratoires qui communiquent directement avec les coffres des banques où ils amasseront le pognon qu’ils se seront fait sur le dos de ce qui reste d’humanité encore douée de parole ou, mieux encore, qui sait le prix du silence, capable de poser son regard sur la simplicité éloquente d’un petit bouquet de coquelicots en bordure d’un champs de luzerne. Je hais les porteurs et les portables et ça me fait du bien. Et je n’en démordrais pas. A propos de téléphone et de cinéma, je suis allé voir “Denise calls up” de l’américain Harold Swalen. En français ça se traduit par : ”Denise est pendue au téléphone”. Et, effectivement, Denise téléphone; à Pierre, à Paul, à Martin, à Josiane, à Lulu, à Roger et à Simone, laquelle téléphone à Martin qui téléphone à Lulu qui téléphone à Roger qui téléphone à Josiane. Et que je vous invite à une party, demain soir, et les autres aussi; venez, venez, ce sera chouette, je m’en vais vous mitonner des petits plats comme vous les aimez, on boira du vin, de la bière et du bourbon; on se racontera des histoires, on sera bien vous verrez, je vous attends tous. Le lendemain matin Pierre téléphone à Paul qui, comme tous les autres - sauf Denise - tape à longueur de journées et de nuits, sur son clavier d’ordinateur. Ne font que ça : Tchic-tchic-tchic, tous. Pierre demande à Paul comment était la soirée; Paul n’y est pas allé, Pierre non plus. Ni Simone ni Lulu. Sont restés chez eux, éloignés les uns des autres, reliés seulement par le son de leurs voix. Et Josiane, au petit matin, vire tous les petits plats dans des sacs poubelles, le téléphone calé entre l’épaule et le menton. Tout le monde se parle au téléphone, personne ne rencontre personne, chacun dans sa bulle ils roulent au même rythme sur les fabuleuses autoroutes désertes de toute communication. On baise via le téléphone, on meurt au volant de sa bagnole, téléphone ouvert pour qu’aucun n’en rate une miette. Tout à la fin, Martin invite toute la bande pour le réveillon de fin d’année. La première et la seule à appuyer sur le bouton de sonnette, c’est Denise. Et Martin, dans le silence de son appartement, reste vissé à son fauteuil, pétrifié, en proie à la plus abjecte des terreurs. Des regards il n’y en a plus, rien que des voix muettes qui s’en vont se perdre dans la jungle implacable des absences et de la peur panique de l’autre, qui est de chair et de sang.



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