jeudi 5 février 2009

18 mars 2000

Je suis retourné au cinéma, l’autre samedi. Remarquez, je dis bien “je suis retourné au cinéma” et non pas “nous sommes retourné au cinéma”. C’est que la femme de ma vie ne m’accompagnait pas, ce soir là, elle était ailleurs, quelque- part en Germanie, en compagnie de son frère avec lequel, depuis longtemps déjà, elle projetait d’aller rendre visite à un monsieur qu’elle aime beaucoup ou, plutôt, aux traces et souvenirs que ce monsieur a laissé derrière lui en mourant il y a de cela pas mal d’années dans une maison relativement cossue de Bonn, l’ancienne capitale de la République Fédérale d’Allemagne. Une maison où l’on trouve ce qui reste des pianos, fauteuils, tables, papier à musique, partitions et cornets acoustiques de tailles diverses qu’utilisait le grand Ludwig Van Beethoven à la fin de sa vie, passée, on le sait dans le plus terrible silence qui se puisse imaginer. C’était un matin grisâtre, je l’ai accompagnée à la gare où nous avions rendez-vous avec son frère, j’ai acheté les meilleurs croissants de la ville, nous nous sommes attablé dans le grand buffet devant des cafés et des chocolats chauds et puis nous nous sommes rendus à la voie onze d’où le train partait à huit heure quatorze. Au travers de la vitre du wagon elle me souriait, elle m’a fait un signe, m’a envoyé un baiser de sa jolie main, le train s’est ébranlé, il a prit de la vitesse et il a disparu dans la brume et le crachin. Elle était partie.J’ai passé la matinée à faire du rangement dans mon petit trois pièces-cuisine, je suis allé à la laverie automatique pour la lessive hebdomadaire; pendant que le linge tournait en rond dans l’eau savonneuse, j’ai déambulé dans la rue St. Gilles, j’ai pris un café et j’ai survolé les nouvelles du jour de mon quotidien dans un bistrot des environs. La journée a suivi son cours parfaitement prévisible, j’ai fait quelques courses, traîné dans la ville en attendant l’heure de la séance du soir au Churchill; à mes côtés, il y avait un vide, une absence, un manque. A l’heure dite j’étais devant le cinéma, il y avait une file, je m’y suis glissé, ça papotait devant et derrière moi, les gens avançaient à petits pas, je suivais le mouvement. Après les formalités d’usage, j’ai tendu mon ticket à l’aimable préposée - au Churchill, tout le monde est aimable, y compris le public. Il y avait pas mal de monde dans la petite salle, j’ai dû me résoudre à m’installer en bout de rangée, au cinquième rang et, paf, comme d’habitude, je me suis retrouvé assis à côté d’une connaissance qui se trouve être un Monsieur Z., bouquiniste de son état, homme par ailleurs charmant et non dépourvu d’humour, lui même en compagnie de la femme de sa vie, assise à sa droite. En attendant les bandes annonces nous avons parlé de choses et d’autres, nous nous sommes raconté les dernières histoires en vogue, nous avons ris et la pénombre, enfin, s’est installée. Et dans la pénombre, au cinéma, d’habitude, il y a une main dans la mienne, des cheveux légers qui me chatouillent la joue, un doux parfum et, de loin en loin, pendant que le film se déroule, des yeux qui se lèvent vers moi, l’espace d’un court instant. Là, le seul parfum était celui de l’after-shave de Pierre Z. dont une main était sagement posée sur ses genoux tandis que l’autre tenait celle de la femme de sa vie. Quant aux deux miennes, elles étaient croisées à hauteur de mon estomac pendant que le héros d’Américan Beauty entamait son périple d’américain moyen désabusé et en rupture de tout qui ressemble trait pour trait au parcours de n’importe quel type de quarante ans de n’importe quelle région du monde civilisé qui découvre que sa vie professionnelle, c’est de la merde, qu’on s’est foutu de lui pendant des années, que sa femme est devenue une potiche sans intérêt, que les copines de sa fille sont foutrement bien balancées et que le nouveau voisin, officier supérieur de l’armée est complètement taré. Il découvre aussi, tout à la fin, que la détention d’armes dans ce sale grand pays, a au moins cet avantage que, pour beaucoup de citoyens américains, le cancer n’est pas une fatalité et qu’une balle de neuf millimètre dans la tête, ça cochonne les murs de la cuisine...

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