vendredi 6 février 2009

22 avril 2000

Bien chers soeurs et frères, nos prières auront fini par être exaucées comme vous aurez eu le loisir de vous en rendre compte ces jours derniers puisqu’aussi bien, à la suite de mes contacts téléphoniques avec Dieu, il y a de cela quelques semaines, ce satané printemps daigne enfin être digne de ce nom. L’autre soir, par exemple, j’ai connu mon premier dialogue de la saison avec un merle, juché au-dessus d’une cheminée, juste derrière l’immeuble qui abrite mes nuits et mes réveils au petit matin, un merle que je soupçonne fort d’être le même que le printemps dernier et avec lequel, déjà, j’avais échangé force triolets et sifflements divers. C’est que, voyez-vous, j’imite fort bien le chant du merle, espèce hélas en nette extinction, que je tiens pour l’animal à plume le plus sympathique qui soit. Il me revient, maintenant que j’y pense, qu’il y a quelques longues années de cela, du temps que je vivais seul dans un quartier de la banlieue liégeoise, tout au bout d’une des plus longues rues de l’agglomération, je me suis trouvé, dans une aube superbe d’un mois de juin lumineux, de retour de libations joyeuses avec des amis de ce temps-là, à marcher au travers des rues et des quais, traversant des ponts alors que le soleil apparaissait au dessus des toits dans un ciel d’un bleu époustouflant. J’avais, comme on peut le croire, bu un rien plus que de raison mais pas au point de m’en retourner à quatre pattes ou avec le concours d’un conducteur de taxi plus ou moins aimable et c’est avec une lucidité empreinte de la plus extrême attention à ce qui m’entourait - les sons, la lumière, les odeurs ambiants - que je cheminais, vêtu d’une chemise légère et d’un pantalon adapté à la saison et que, en chantonnant je ne sais plus quel vieux tube à la mode, je regagnais mes modestes pénates d’alors. Arrivé à hauteur du quai de Coronmeuse, à mi-chemin de la distance que j’avais à parcourir avant d’arriver à destination, tout à coup, là haut, quelque part au sommet d’un building, un merle a commencé de faire entendre son chant guilleret et, poussé par je ne sais quelle impulsion, le dos et les coudes appuyés à la balustrade métallique surplombant les flots paisibles de la Meuse je me suis surpris à répondre, à ma façon maladroite, aux chants du petit animal. Le plus extraordinaire c’est que j’étais absolument convaincu que l’oiseau, étonné d’abord puis, me sembla-t-il, séduit par mon audace, s’était pris à mon jeu et que c’était à moi que, dès ce moment, il adressait son salut et son chant. Et même, je me persuadais que, de là haut, il me regardait, étrange silhouette se découpant sur le gris bleuté du fleuve, lancée dans ce dialogue improvisé auquel, je le pensais le plus sérieusement du monde, il prenait un réel plaisir. A dater de ce matin mémorable, d’année en année, je guette le printemps avec une impatience grandissante et, à chaque fois qu'il s’annonce, je me promène le nez en l’air et l’oreille dans l’attente du premier chant du merle, auquel, à chaque fois, je réponds pareillement et avec le même entrain. Et cette année, voyez-vous, le printemps est encore plus beau que toutes les années passées, je dirais même que ce printemps est le plus beau de tous les printemps du monde, le plus exaltant printemps qu’il m’ait été donné de vivre, un printemps qui coïncide avec cette inexplicable succession de moments parfaits, dans le coeur de cet amour-ci qui s’en trouve grandi, embelli, plus joyeux, plus extraordinairement complet que jamais... Un amour qui aurait le ramage du merle, et son chant et son vol décidé. Hélas, le merle se fait rare dans les jardins et, un jour prochain, il n’y aura plus qu’elle et moi pour reprendre, avec de la tristesse au coeur, la belle et grave mélodie du temps qui passe...



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