vendredi 6 février 2009

28 octobre 2000

Je suis de fort méchante humeur en ce samedi matin, à l'heure où vous émergez lentement mais sûrement de votre sommeil, que d'une main négligente vous repoussez les miettes de biscottes ou de croissants qui encombrent la toile cirée de la table de cuisine et que de l'autre vous portez à vos lèvres le café, le thé ou le chocolat chaud; je suis de fort méchante humeur et cela n'a rien à voir avec le cinéma qui, il y a quelques soirs, nous a enchanté une fois de plus, mon amoureuse et moi, avec le rediffusion de "Breaking the wave" de Lars Von Trier. Çà c'est de l'amour coco ! Et ça c'est des comédiennes et des comédiens et pas de ces créatures qui n'ont pour elles que les rondeurs adéquates aux endroits les plus appropriés, suivez mon regard. Donc, c'est un très beau morceau de cinéma qui vous laisse pantois et infiniment triste et vous vous mettez au lit avec cette tristesse et, tout de même, aussi, avec un je ne sais quoi d'espérance dans la nature de certains êtres, capables d'aller jusqu'au bout de l'amour et du sacrifice que parfois il exige et auquel on se soumet avec une allégresse et une volonté qui transcende la mort même. Je n'en dirais pas autant de ces imbéciles, ces camarades facteur, qui ont, pendant des mois, passé un temps pourtant précieux à se moquer de cet autre facteur, à le rouler dans la farine, le ridiculiser pour la seule raison qu'il ne leur ressemblait pas, à ces imbéciles; ils ont poussé ce pauvre type sous un train parce qu'il était un peu plus enveloppé que la moyenne admise par la norme telle que définie par les magazines féminins et à laquelle l'ignoble majorité silencieuse se plie avec délectation. J'ai connu ça, moi aussi, quand j'étais gamin; je portais des lunettes, c'était loin d'être à la mode et j'en ai entendu des quolibets et des injures et des rigolades, je n'étais pas en âge de me suicider et, aujourd'hui qu'il y a autant d'opticiens que de pharmaciens, les lunettes ne font plus rire personne et il y en a même qui en portent alors qu'il n'en ont pas besoin, juste pour se faire remarquer. Ma compagne, qui n'a pas toujours rigolé non plus quand elle était une toute jeune fille, a subi les moqueries et les humiliations de ses salopes de copines de classe parce qu'elle était nippée comme une pauvre par une grand mère sadique qui se consume en enfer, je le sais parce qu'on me l'a dit. Et j'espère que les camarades facteurs qui ont sur la conscience le suicide de ce malheureux seront jusqu'à la fin de leur chienne de vie de salauds de facteurs rigolards, en proie aux remords et aux pires cauchemars. Et je maudit et je méprise et je chie sur la tête de cet autre salaud, directeur du très austère Institut Bruxellois pour la gestion de l'Environnement qui a viré ce pauvre garçon, qui a le même prénom que moi, sur le prétexte que, grève des bus oblige, ce jardinier un peu simple, démuni et dramatiquement seul était dans l'impossibilité de se rendre, de ce bled perdu de la banlieue de Charleroi qui s'appelle Gilly à Bruxelles où il travaillait pour le compte de ce patron de choc; déjà, en temps ordinaire, l'honnête travailleur prenait le train à cinq heures et demi, chaque matin et puis, n'ayant personne à qui demander de l'aide, s'est trouvé coincé dans ce trou perdu, à des kilomètres de Charleroi et paf, une aimable lettre qui l'informe que, puisqu'il "refuse de venir travailler" et que cela constitue "une faute grave", il peut dorénavant rester chez lui. Voilà un type désormais sans ressources, abandonné, lâché, largué et, à ma connaissance, ses camarades de boulot ne se sont pas mis spontanément en grève et pas un seul n'est allé frapper à la porte de ce directeur pour lui flanquer son poing sur la gueule. Alors voilà, que les conducteurs de bus veuillent plus de pognon, je trouve ça tout à fait légitime et ce n'est pas le pognon qui manque, demandez aux actionnaires des banques. Maintenant, je serais le grand patron des syndicats, j'en appellerais sur-le-champ à la grève générale avec occupation pour exiger la réintégration du jardinier de Gilly. C'est une affaire de principe: on n'a pas le droit de se comporter de cette façon avec les gens, qu'ils soient jardinier ou conducteur de bus, garçon de café ou chroniqueur...



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