jeudi 5 février 2009

11 mars 2000

J’avais décidé d’arrêter, en tout début d’année. J’ai tenu un peu plus de trois semaines, sans trop de difficulté. Je me sentais pas trop mal, la grosse toux du matin avait disparu au bout d’une semaine, je n’arrêtais pas de bâfrer; je reprenais de tout à chaque repas, la devanture des pâtisseries me faisait les yeux doux et, aux dires de la femme de ma vie, j’avais pris un rien de rondeur ce qui, à ses yeux, ne m’allait pas mal. Et puis, une nuit, à la suite de circonstances sur lesquelles je ne m’appesantirai pas, je me suis retrouvé dans un bistrot des environs de chez moi, où l’on sert de bonnes bières anglaises, noires et amères, dans des verres énormes; j’en ai ingurgité une quantité relative et, dans le même temps, j’ai, comme on dit, replongé. En me disant: demain, c’est sûr, pas une seule; c’est un moment particulier, j’ai besoin de ça, là, tout de suite, ça colle parfaitement à mon état d’esprit. La nuit a quelque chose de magique, il y a des conversations autour de moi, Jean-Michel, le barman, papote un peu avec moi, les visages sont des ombres fantomatiques auxquelles je ne comprends rien, un type me parle de bridge, m’offre une autre bière, le comptoir ressemble de plus en plus au bastingage d’un rafiot fatigué et la fumée âcre me fait du bien, voilà. Dehors, il pleut, bientôt quatre heures du matin, il est temps de prendre le petit dernier pour la route. Et une dernière tige de huit, le regard bien au delà des verres sagement rangés, des panneaux publicitaires sur le mur de briques rouges et des dorures de pacotilles des pompes à bière. Suivre le trottoir, relever le col de la veste de cuir, éviter les flaques d’eau, rentrer sagement, une stupide chansonnette dans le crâne, qui s’installe et fait des ronds.Tout ça me remet en mémoire un épisode de ma vie, il y a bien longtemps, quand j’avais à peine vingt ans et que j’avais, une autre fois, décidé d’arrêter. Je tenais le coup depuis plus d’un an, j’allais entrer à l’armée pour apprendre comment on défend la patrie et j’étais au cinéma. C’était un de ces cinémas du centre de Liège, le “Marivaux” et on donnait un de ces bons films de Jean-Pierre Melville “Le samouraï”, avec un Delon au mieux de sa forme ce qui ne l’empêche pas de mourir à la fin. Dans cette histoire dont j’ai depuis oublié les tenants et aboutissants, à un moment, Delon rentre, la nuit, dans son minuscule appartement de truand, une cage abrite un canari dont notre héros s’approche pour s’apercevoir que le petit animal est complètement paniqué et qu’à l’évidence, on s’est introduit chez lui pendant son absence. Qu’a cela ne tienne, le gangster de charme tâte ses poches, en sort un paquet de Gitanes qu’il ouvre et qui est désastreusement vide. Et c’est ici que le déclic a lieu. Non pas dans le film, mais dans ma foutue cervelle... Delon s’approche d’une armoire murale, au dessus du réchaud à gaz et de l’évier de porcelaine, une armoire d’un vert sale au dessus de laquelle sont rangées des cartouches de Gitanes. Cela fait une magnifique tache de bleu dans la pénombre verdâtre; il en prend une, déchire l’emballage, en extrait un paquet, qu’il ouvre et dont il sort le cylindre blanc qu’il se colle entre les lèvres, va dans une de ses poches, en ramène une boîte d’allumettes; il y a ce bruit du bout soufré, la lueur qui s’approche, les yeux fixés sur le bout de la clope, et la première inspiration en même temps que ce mouvement de la main, index et majeur écartés, pour se saisir de ce bizarre assemblage de papier et de feuilles brunâtres finement hachées. La suite de cette histoire, la voici: La première bouffée de Delon, je l’ai vécue avec une intensité inimaginable, j’ai senti, littéralement, la fumée entrer dans ma gorge et envahir mes bronches et c’était un moment parfait. En sortant du cinéma, je me suis précipité dans le premier débit de tabac venu, j’ai acheté un paquet de Gitanes et j’ai replongé. Et voyez vous, je n’avais pas honte, je ne me sentais pas coupable. Exactement comme aujourd’hui...Keuf-Keuf.




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