vendredi 6 février 2009

17 juin 2000

Il y a quelques années d'ici, ceux de ma génération s'en souviendront, il était de bon ton, dans les milieux dit intellectuels, de jeter sur le sport en général et sur le football en particulier, un regard méprisant et hautain. Je me rappelle certaines disputes homériques avec des gens qui ricanaient sur cette stupidité qui consiste à mettre en présence vingt-deux bonshommes en culottes courtes avec un seul ballon alors qu'un ballon par joueur permettrait que tous soient satisfaits. Moi qui ne suis pas un con fini - la preuve c'est que je cause dans le poste - je vais vous dire: le foot, quand c'est beau, c'est beau. J'y ai joué comme un forcené quand j'étais adolescent et que mes idoles s'appelaient Di Stéfano, Gento, Puskas, Piantoni et Kopa, j'ai marqué quelques buts d'anthologie mais la télé en était à ses débuts et aucun de mes exploits n'a été archivé, vous ne savez pas ce que vous manquez. J'ai ce souvenir de la première fois où, avec les cousins de Bruxelles, mon grand-père et mon père à moi, je découvris l'atmosphère inoubliable du vieux stade de Sclessin à l'occasion d'un match entre le Standard de Liège et l'Union Saint Gilloise. C'était l'hiver, il faisait un froid de canard et, dans cet amphithéâtre de béton qui me paraissait immense, des dizaines de milliers de gens hurlaient, chantaient, trépignaient et battaient des pieds pour se réchauffer. Je ne me souviens pas du score de ce dimanche là, ce n'est pas bien important, ce dont je me rappelle et qui m'avait subjugué c'était ce bruit de houle et de tempête qui montait de la multitude aux moments les plus cruciaux et quand, surtout, la balle, après être passée de pieds en pieds en passant par l'une ou l'autre tête, s'en allait se ficher entre les poteaux du but. Ce bruit, je suis même capable de l'imiter, je vous le ferais peut-être en fin de chronique, si ça se trouve. Pour l'heure, au moment où je rédige ceci, coincé entre ma bibliothèque et l'arrière de mon téléviseur, qui est allumé mais dont je ne capte que le son, les Turcs et les Suédois sont en train d'en découdre et, derrière les commentaires des journalistes d'une chaîne concurrente, j'entends les cris et les clameurs des spectateurs et je trouve ça beau. Maintenant, expliquer, tenter d'expliquer et de faire partager le plaisir qu'il y a à taper dans un ballon comme des millions de gamins le font de par le monde, des plages de Rio à la petite place baignée de soleil d'une petite ville de France où, comme il m'est arrivé de le faire, devenu plus grand, de disputer d'interminables parties avec des gamins de la banlieue d'Alger, expliquer et faire partager pourquoi, lorsque je pénètre, rarement il est vrai, dans les travées d'un stade, mon coeur bat plus fort, ce n'est pas mon propos; simplement, ce mystère existe, cette magie du vert de la pelouse, des couleurs dans les gradins, des clameurs et des ovations interminables et ces joueurs qui tournent, dansent, courent et se jettent dans ce simulacre de guerre, cela existe, cette magie existe, elle est universellement partagée et il y a là dedans bien autre chose qu'un jeu de balle. Les enfants des favellas volent les touristes étrangers rien que pour avoir cette chance de pénétrer dans l'immense nef de béton du Maracana et pour se mêler aux cent quatre-vingt milles voix qu'on entend à des kilomètres à la ronde quand Botafogo met la raclée au vieux rival de Fluminense et que l'enceinte mythique tremble sur ses fondations, vieilles d'un demi-siècle; c'est là, devant les yeux ravis de tout un peuple que le grand, l'inoubliable Pelé a inscrit son millième but, c'est là qu'un jour je rêve d'aller, tout comme j'ai rêver de vivre une finale de Cup dans le vénérable stade de Wembley, qui va disparaître. Et quand j'étais gamin, quand je mettais la balle entre les paquets de vêtements et de cartables, j'avais dans les oreilles l'incroyable clameur, j'étais Pelé, j'étais Puskas, j'étais Garrincha. Et n'allez pas dire que je déraisonne, tous ceux qui ont à un moment de leur jeunesse joué à ce jeu finalement facile à comprendre et à aimer, savent ce que c'est que ce rêve...







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