jeudi 5 février 2009

2 octobre 1999

Il se confirme et je le sais de très bonnes sources que si le dernier film de Kubrick a connu une publicité aussi tapageuse et racoleuse que celle que l’on a eu l’occasion de vérifier et dont on a pu avoir à se plaindre, c’est tout simplement parce-que ce coquin de Stanley en avait décidé ainsi en sélectionnant lui-même les plans qui devaient servir au montage de la bande annonce. Ceux qui, comme moi, ont vu le film conviendront qu’il est tout ce qu’on voudra sauf ce que certains ont prétendus qu’il était. Car, bien évidemment, ce ne sont pas ces images à elles seules qui pouvaient donner une quelconque idée du contenu de ce film mais bien les commentaires et qualificatifs qui les accompagnaient.“Sulfureux”, “d’un érotisme brûlant”, “des scènes d’une audace sans précédent” et autres stupidités n’avaient pour objectif que d’attirer le chaland et les amateurs de partouzes sur grand écran et de les emmener là où ça se passe: dans les salles de cinéma. Le film de Kubrick a coûté cher, très cher; à savoir plus ou moins soixante-neuf millions de dollars, soit deux milliards septante millions de francs belges, soit, encore, l’équivalent de 3.334 année de travail pour un ouvrier non qualifié ou un petit employé au salaire mensuel net de 50.000 frs. Et tout ce pognon pour quoi ? Pour nous raconter une histoire en forme de parabole, avec de fort belles images, certes, et une Kidman et un Cruise parfaitement dans leurs rôles, indéniablement. Mais, après la projection, tout de même, pour celles et ceux qui ne sont pas aveuglés par les funestes apparences, il est évident que tout cela a un air de déjà vu et, qu’en fin de compte, on sort de ce film avec au coeur des souvenirs et des réminiscences qui ne sont pas que joyeuses. Je sais, vous savez et nous savons que les rapports amoureux malgré les serments, les désirs de toujours et de jamais, sont sans doute ce qu’il y a de plus fragile et de plus aléatoire. Je sais que la femme qui m’aime et que j’aime peut fort bien, elle aussi, comme toutes les autres, comme Alice dans le film, croiser un regard, rencontrer, à mon insu ou en ma compagnie telle figure, telle voix, telle manière de bouger les mains ou de sourire qui, sans qu’elle le décide, peut prendre possession d’une partie d’elle-même, envahir ce creux qui persiste à ne pouvoir être comblé par un seul, moi, ou toi, mon auditeur insouciant, qui te crois à l’abri des périls et qui regarde ta bien aimée, ce matin là, qui se maquille, se glisse dans une robe que tu ne connaissais pas et qui s’en va à ses occupations du jour. Comment peux tu savoir avec certitude où et vers qui elle va ? Et nous, les hommes, quand le printemps est là et puis l’été et son cortège de robes à fleurs, de croupes et de hanches, de bras dénudés et d’épaules dorées, de mollets galbés et de cuisses devinées... Où vont nos regards ? Vers les lointains nuages, là haut, qui jouent avec le bleu du ciel ? Non, bien sûr! Alice est troublée par le regard qu’elle échange avec le bel officier, oui, et après ? Après, cette pensée, la seule pensée de ce regard la poursuit et puis, plus tard elle s’éloigne, elle se dilue. Sans doute ne disparaîtra-t-elle jamais tout à fait et quand Alice, devenue vieille, assise au coin du feu au côté de son mari aura le regard vague et qu’il surprendra ce regard, une ombre passera encore entre eux deux. Et puis Alice posera les yeux sur son vieux compagnon, elle tendra la main vers lui, il la prendra dans la sienne et ils échangeront un beau sourire, voilà. Ainsi sans doute en sera-t-il pour quelques uns d’entre-nous mais l’ important aura été de conserver l’essentiel, ce qui ne veut ni ne peut se séparer, cette étrange alchimie qui, comme me l’écrivait récemment la femme de ma vie, fait que “nous avons mis nos pas les uns dans les autres et le miracle, c’est que nous ne tombions pas...”



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