jeudi 5 février 2009

13 mars 1999

Stanley Kubrick est mort, paix à ses cendres et toutes ces sortes de choses. Stanley kubrick est mort et les chaînes de télé se jettent sur le cadavre à peine refroidi, nous balancent du Kubrick à tour de bras et je ne m’en plaindrai pas. L’autre soir, dans une apathie consécutive à quelques soirées volontairement tirées dans une longueur languissante et empreintes d’un charme propice à l’épanchement des plus beaux sentiments, nous en étions, ma belle et moi, à suivre l’émission de Delarue consacrée aux handicapés lorsque, sentant l’un et l’autre la fatigue nous envahir, je proposai à la douce de rejoindre la douceur des draps et de mettre un terme à l’évocation des souffrances de ces gens martyrisés par la vie, non sans avoir préalablement suggéré un dernier zapping d’honneur, histoire de ne pas couper trop brutalement sa chique au très sympathique et attachant homme tronc, vedette incontestée de la réunion de la soirée. Or donc, passant d’une chaîne à l’ autre, à distance respectable du téléviseur, voici que, sans crier gare, une image, un plan, une lumière, une bande son à nulle autre pareille d’un coup d’un seul envahissent le minuscule espace de l’écran du récepteur de télévision. Une image vieille de trente ans, sans une ride, d’une modernité et d’une permanence proprement époustouflante: 2001, odyssée de l’espace de Monsieur Stanley kubrick. Voilà un cinéaste qui, en quatre décennies, a dessiné les portraits de ceux qui parcourent le temps, l’espace et l’histoire, qui déambulent du lointain passé au futur en laissant derrière eux des traces, des empreintes, plutôt, qui s’attachent à nos souvenirs et qui sont comme des compagnons de route que l’on aurait rencontrés dans une vie parallèle, parfaitement parallèle à celle-ci.Le cinéma de kubrick restera celui de la plus extrême adéquation entre les exigences de la rigueur du propos et celles de la forme que celui-ci détermine. La somme des prouesses exemplaires du réalisateur est tout entière contenue dans chacun de ses films; aucun n’est à mettre devant l’autre, tous sont des réussites, tous ils touchent au plus profond les arcanes des destinées individuelles et collectives. De Hall, l’ordinateur rebelle, à Barry Lyndon, en passant par le fantasque docteur Folamour, Spartacus, l’esclave insoumis ou Alex, figure Stirnerienne poussée à la caricature, tous sont des figures emblématiques des masques que nous portons et qui sont, proprement, l’exact reflet de ce qui s’est joué, se joue et se jouera dans l’infinité des hasards générés par les événements et les accidents qui constituent nos fragiles et éphémères existences. Il n’y a pas, il ne peut y avoir de grande ou de petite histoire; ce qui palpite dans l’immensité du monde frémit aussi en chacun de nous et un geste posé ici ou là, dans telle ou telle circonstance, vis-à-vis de celui-ci ou de celle-là, engendre nécessairement et inéluctablement ses effets dans tout l’univers, tout comme le battement d’une aile de papillon dans un désert provoque, paraît-il, la tornade dans l’émisphère opposé. Quand le cinéma, tout le cinéma, tendra au degré de perfection qu’a atteint celui-ci, il sera l’égal de la meilleure littérature et, comme elle, il s’adressera à ce qu’il y a de meilleur en nous: le souci permanent d’une quête débarrassée de ses scories, lavée de tout préjugé, tendue vers la réconciliation et l’acceptation de ce qu’ il y a en nous de petitesses et de grandioses possibilités. Stanley Kubrick est mort, paix à ses cendres et toutes ces sortes de choses...



Aucun commentaire: