vendredi 6 février 2009

3 juin 2000

Jeudi, avant-hier donc, c'était jour férié et chômé, en tout cas pour la plupart d'entre-nous puisque, tout de même, les trains roulaient, les bus circulaient et que les agents de la paix publique déambulaient en ville, en toute décontraction, sous un soleil de printemps masqué, par moment, par de très beaux nuages. Pour ma part, j'ai passé une partie de l'après-midi avec mon vieil ami Patrick Leboutte, rencontré inopinément et tout à fait par hasard et que je n'avais pas vu depuis longtemps; nous nous sommes installé à une terrasse de bistrot, bien entendu, et nous avons parlé de choses et d'autres; de cinéma, de littérature, du temps qui passe et qui ne change rien à l'estime et l'affection que nous nous portons mutuellement. Nous étions là, dans la paix et le relatif silence de cet endroit qui est un des lieux de rencontre des liégeoises et des liégeois qui y viennent pour boire un coup ou manger le plat du jour et pour regarder les liégeoises et les liégeois qui passent, bras dessus-bras dessous, à peu près toujours les mêmes, des têtes que l'on connaît depuis des années, que l'on salue de la main ou qui s'arrêtent pour prendre des nouvelles. C'est ça qui est agréable, quand on n' est pas trop occupé par telle ou telle entreprise ou qu'en tout cas on n'est trop pressé de s'y remettre, c'est d'être ainsi comme, je le pense, nous devrions être en permanence, débarrassés des contingences immédiates, l'esprit au repos, à peine soucieux du repas du soir, qu'il faudra tout de même préparer et on se dit que rien ne presse, penser à cette chronique qu'il va falloir rédiger, dans la soirée ou même, si cela était nécessaire, dans le courant de la nuit... Décidément, rien ne presse, en ces moments-là; le temps est tendre et velouté, on sirote son café, on se roule paisiblement des cigarettes et tant pis pour la journée mondiale sans tabac, quand nous serons morts nous ne fumerons plus, c'est promis juré. Et puis, Patrick prend congé, le travail, tout de même, l'attend et moi, je me lance dans une de mes chères entreprises: attendre. Qui ? Je ne le dirai pas; histoire de ne pas heurter tel esprit chagrin qui estime et qui se plaint - on me l'a rapporté - que je parle trop de telle personne et donc je ne dirai pas qui j'attendais, ce jeudi-là, sur le coup de trois heures de l'après-midi mais je dirai comment et avec quelle intensité j'ai appris à attendre de la sorte cette personne et nulle autre, n'en déplaise au susdit esprit chagrin qui n'a peut-être pas cette chance que j'ai, moi, d'attendre à ma façon cette personne. Nous nous quittons, le vieil ami et moi, en nous embrassant comme nous en avons l'habitude et moi, le regardant s'éloigner dans la rue St. Paul, quasiment déserte, je me mets en chemin, le même chemin, en réalité, que celui dans lequel vient de s'engager l'ami en question, mais que j'emprunte d'un pas lent et parfaitement maîtrisé, les mains croisées derrière le dos, l'oeil aux aguets, l'oreille fatiguée tendue aux sons de toutes sortes qu'elle veut bien encore me permettre d'entendre, cette oreille fatiguée. Ainsi vais-je, des Chiroux, où nous étions encore à la minute précédente, mon vieil ami et moi, vers la rue St. Paul, qui mène à la place Cathédrale d'où, en toute hypothèse, doit venir la personne que j'attends et avec qui j'ai rendez-vous, au même endroit, les Chiroux, donc, à quatre heures de ce bel après-midi. L'heure du rendez-vous est loin d'avoir sonné et me voici, longeant les vitrines des magasins, m'arrêtant longuement devant l'étal d'un bouquiniste, faisant l'inventaire, méthodiquement, de ce qui se trouve à l'étalage, plus loin je lorgne distraitement les vaisselles et les accessoires de luxe que l'on trouve dans les bonnes maisons et, régulièrement, je regarde dans le lointain, je scrute en réalité le lointain, vers la place Cathédrale, dans l'espoir de voir apparaître la silhouette que je distinguerai sans difficulté dans une foule de cent milles personnes, n'en déplaise à cet esprit chagrin. Et tout à coup, je ne sais par quel prodige, elle est devant moi, la silhouette; et mon coeur fait un bon.


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