mercredi 4 février 2009

14 décembre 1996

Je n’ai pas envie de cinéma pour le moment, ni d’aucune autre forme de distraction, d’ailleurs. Je suis dans un moment bien étrange, en vérité... J’assume, comme vous, mon quotidien, je vaque aux occupations pour lesquelles j’ai juste les dispositions requises, j’exerce, outre le passionnant boulot qui consiste à m’adresser à vous chaque samedi, un métier; cela fait exactement trente-six ans que je suis dans la vie active, comme on dit. La vie active ! Comme si la vie avait besoin d’être active pour être la vie... Encore quelques années à tirer et j’aurai peut-être droit à la pré-retraite, à moins que ces Messieurs-Dames, au gouvernement, qui s’agitent tant ces derniers temps, ne décrètent qu’il serait bon et salutaire que l’on allonge encore de quelques années le temps passé à travailler :jusqu’à ce que mort s’ensuive, peut-être ou, au moins jusqu’à épuisement de toutes les facultés qui me distinguent de la chaise sur laquelle mon postérieur repose benoîtement à la minute présente...Vous savez de quoi j’ai envie, parfois, de plus en plus souvent ? D’arrêter tout. Un matin, par exemple, le réveil se mettrait à sonner et je lui clouerais le bec, comme ça, toc, ta gueule le réveil, silence, je ne t’ai pas sonné. Et je me rendormirais, avec, préalablement, vous savez bien, ce savoureux mouvement de rotation, en agrippant la couverture et en la remontant largement au dessus de l’épaule, à ras de l’oreille... Je ne téléphonerais pas au boulot pour raconter je ne sais quels bobards au sujet d’une prétendue gueule de bois, d’une grippe surprise ou d’une entorse au petit doigt. Je dormirais, point c’est tout. Et puis, à un moment, bien sûr, le soleil apparaîtrait à l’angle de la fenêtre, il ferait un bruit léger à la vitre pour que je lève une paupière puis l’autre; je m'asseoirais au bord du matelas posé à même le sol, j’étirerais mes membres - en tout cas, les bras et les jambes - je chausserais mes lunettes et les espadrilles qui me tiennent lieu de charentaises, j’irais à la cuisine me faire du café, enfin, de cette mixture lyophilisée de café et de chicorée, j’allumerais ma première cigarette et, comme on disait que ce serait l’été ou, au moins, le printemps, j’irais faire quelques pas dans ce qui ressemble à un bout de jardin avec un laurier, des herbes folles et un arbre dont j’ignore le nom - il ne s’est jamais présenté - et sur les branches duquel de longues colonnes de fourmis vont et viennent pour. cueillir le miellat au cul des pucerons. A mon grand étonnement, chez les voisins, dont je ne suis séparé que par un mur de hauteur moyenne, j’entendrais des rires et des chansons, une gaieté inhabituelle résonnerait pareillement d’un jardin à l’autre aux alentours. J’irais alors, en sirotant mon deuxième bol de pseudo-café et en grignotant une biscotte à la confiture d’abricot, m’installer à l’avant de la maison, assis sur le seuil, comme les Italiens, les Espagnols, les heureux habitants des pays du sud qui savent si bien prendre leur temps; ma voisine du dessus, Adélie, elle-même plus ou moins espagnole quant à ses origines, descendrait les escaliers, simplement vêtue de son peignoir et les pieds nus et viendrait s’installer à mes côtés, un grand sourire complice aux lèvres. Sur le pas de toutes les portes de toute la rue, qui est longue et pentue, ce qui permet une vue d’ensemble tout à fait imprenable, les gens prendraient le soleil et boiraient leur café et iraient les uns vers les autres avec ces mêmes sourires d’enfants espiègles qui, pour un petit bobo, ont séché l’école avec la complicité de maman... cette scène se reproduirait partout, dans les rues de toutes les villes et de tous les villages du monde.Voilà à quoi je rêvais, dans le matin froid, à l’heure où l’autobus débouchait à l’angle du boulevard, chargé de dizaines d’hommes et de femmes, le visage clos, chassés comme moi de leur sommeil et qui s’en allaient gagner leur vie, comme on dit...



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