jeudi 5 février 2009

27 février 1999

Il y a, ces jours-ci, des critiques qui s’en vont partout ou à peu près, déclarer que le film que Paul Auster a voulu faire tout seul comme un grand, ne vaut pas tripette, que c’est du sous-smoke et qu’il aurait mieux fait de s’adresser à un professionnel - Claude Zidi, peut-être ?- pour avoir une chance de réussir son entreprise. D’abord, qu’on le sache, j’irai m’assurer par moi-même et de visu des qualités et des éventuels défauts de “Lulu on the bridge”, ensuite et sans votre permission, pour qui vous prenez-vous, je dirai ce que j’en pense. Cela dit, et pour passer à tout autre chose, il y a un coin de Liège qui pourrait parfaitement convenir à une variation sur les thèmes développés par Auster et Wang à ceci près que le lieu que je me propose de vous décrire n’est ni un débit de tabac ni un bistrot mais, plus prosaïquement, un salon de coiffure du centre ville que je fréquente à intervalles plus ou moins réguliers dans le but de me faire couper les cheveux mais aussi pour d’autres raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’art capillicole, si j’ose ainsi pasticher ce cher vieux Desproges, paix à ses cendres, lui qui avait horreur des coiffeurs mais qui n’a pas eu la chance de connaître André . André, c’est le petit nom de ce grand gaillard d’une bonne cinquantaine d’année qui officie dans le minuscule espace de son salon, coincé entre l’entrée d’un parking à étages et une galerie d’art où, on peut découvrir l’un ou l’autre peintre local pourvu de quelque talent. Deux sièges, un pour le client et l’autre pour ceux qui, comme Léon, pas Michaux, un autre, entrent et s’installent du côté de la fenêtre et s’adonnent à la parlote, prenant à témoin le type coincé sous la cape de nylon - moi à l’occasion - tandis que le maître, interrompant le cliquetis de ses ciseaux et suspendant son peigne à hauteur de son épaule, attend le moment où il va pouvoir donner son avis sur des questions aussi variées que l’assassinat d’un tel dans des circonstances généralement assez horribles ou totalement incongrues, les résultats lamentables du standard depuis de longues semaines, la disparition évidemment inopinée et après une longue et pénible maladie de la femme d’un ancien client qui lui-même ne va pas très bien, la preuve, ça fait des semaines qu’il n’est pas venu se faire raccourcir les cheveux. La dessus, la porte vitrée s’ouvre, poussée par un nouvel arrivant qui salue à la ronde, m’obligeant à extraire une main de dessous la cape qui me descend jusqu’aux genoux et à l’y remettre avec force contorsions dans le même temps qu’André profite de l’occasion pour faire une pose et agiter la main qui tient le peigne en direction d’une dame qui passe devant la vitrine, s’arrête, fait demi-tour et entre à son tour, se mêle à la conversation, interrompue par Léon - pas Trotsky, un autre- qui de toute évidence se fait couper les cheveux ailleurs puisque jamais au grand jamais je ne l’ai vu installé à la place que j’occupe généralement. Un après-midi, profitant d’une pause dans l’exercice de mes nombreux talents et passant devant chez André, l’envie me vînt de me faire dégager les oreilles des boucles grises qui les encombraient. ce qui me donne un certain charme, je dois l’avouer, mais qui n’est plus vraiment de mon âge. André était seul, occupé à la lecture d’une gazette locale et, à ma vue, il ne fit qu’un bond, enfila sa veste tout en me priant de garder le salon juste le temps de prendre une rapide collation dans un snack des environs. Je n’avais, si je pouvais lui faire ce plaisir, qu’à m’installer dans le fauteuil des invités et regarder la télé tout à mon aise, il ne tarderait pas, promis juré. J’acceptai, bien sûr, de lui rendre service et, pendant son absence, j’eus droit à la visite d’une charmante jeune fille qui me demanda des nouvelles de l’honnête artisan, d’un grand type perdu dans la ville et à qui j’indiquai le chemin du bureau de poste le plus proche et, pour finir, de ma chérie à qui j’avais donné rendez-vous et qui me fit le plaisir d’attendre avec moi le retour du barbier lequel s’en revînt peu après et fit fête à l’élue de mon coeur comme à chaque fois qu’elle et moi passons par là et que derrière sa vitrine, André nous fait des signes avec son peigne...


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