jeudi 5 février 2009

14 novembre 1998

Un excellent ami à moi a eu cette très belle expression, un jour que nous devisions à propos de la création artistique en général et de peinture en particulier, je le cite: “D’accord ça a déjà été fait, mais moi je ne l’ai pas encore fait” J’aurai envie d’appliquer la formule au film de François Ozon que nous vîmes récemment, ma belle et moi. Même qu’à l’issue de la séance et si je ne me trompe pas de jour, nous allâmes dans un des beaux cafés de Liège pour y boire sans modération aucune de bonnes bières brunes et épaisses ce qui eut pour effet de nous permettre de prolonger, à notre manière, la relative ivresse qu’avait put nous apporter la farce sitcomienne de l’honorable cinéaste. Je dis honorable car, tout de même, il me faut le dire, je suis resté un peu sur ma faim eu égard à cette production dont le bon Noël Godin disait qu’elle renouait avec un cinéma déconnant et subversif ce dont, je regrette de devoir le dire, je suis loin d’être convaincu. Si, bien sûr, la première révolution doit impérativement se jouer en chacun de nous, si nous devons, d’abord, bouleverser nos manières de voir et de penser, si nous sommes avant tout comptable de notre capacité à décoder la réalité et les images qui la véhicule, il n’en reste pas moins que la subversion de cette réalité ne peut se réduire à la sphère privée. Tant que la multitude continuera de prendre au pied de la lettre tout ce qui lui est asséné comme vérité intangible et immuable, tant qu’elle acceptera de se soumettre aux ordres et aux impératifs de la logique du marché et de sa prétendue communication, les individus, quel que soit le degré de conscience auquel ils auront put accéder, resteront noyés et isolés dans l’immense océan de l’indifférence et dans l’incapacité à mener leur vie puisque, toujours, le possible s’oppose au permis. La qualité ou la grandeur d’une pensée, l’acuité d’une intelligence, la capacité de créer et d’inventer, pour soi, des comportements et des choix qui puissent, réellement, engager l’avenir, s’opposent à la nécessité inscrite dans le cours général des choses. La liberté d’être absolument ce qu’il nous faut être, la nécessité impérieuse de la réalisation de soi est une colossale illusion dès lors que ne sont pas pris en compte l’infinité des contraintes, des devoirs et des règles communes auxquels, faute d’être exclu de toute vie sociale à peu près digne de ce nom, nous devons nous plier. La confusion entretenue autour des fameux droits de l’homme fait partie de la stratégie, savamment élaborée par ceux qui, seuls, détiennent effectivement le pouvoir exorbitant de toute parole et de tout discours. Cet humanisme de façade veut nous faire oublier que ces droits ne sont rien s’ils ne s’accompagnent pas des moyens qui permettent qu’ils s’exercent réellement et pleinement.Le citoyen souverain et libre est un fantôme sans consistance et sans réalité si ses désirs sont, partout et toujours, contrariés par cet “homme moyen” que la magie corruptrice des artisans de la post-modernité consumériste a mis à la place des êtres singuliers qui, dans les temps anciens, pensaient la réalité et élaboraient les concepts et les pratiques qui visaient à sa transformation. Aujourd’hui, le concept est un mot sans contenu puisqu’il désigne aussi bien la forme d’une automobile que l’organisation d’une foire agricole quand ce n’est pas la stratégie de tel ou tel groupe industriel ou, plus trivialement encore, d’un parti politique. La vie que, pour la plupart, nous menons, est indigne de notre humanité et les clowneries cinématographiques des uns et des autres ne nous montrerons jamais à quel degré de bassesse nous en sommes arrivé.



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