Selon une mienne amie - je ne vous dirais pas de qui il s’agit afin de ne pas heurter sa sensibilité et sa discrétion - il paraîtrait que je suis passéiste. Bien évidemment, venant d’elle, je ne peux croire qu’il puisse s’agir d’un vilain procès d’intention ni encore moins d’une quelconque forme de condamnation eu égard à ce que je dis ici chaque semaine à peu près à la même heure. Toujours est-il qu’il me paraît bon de vous prendre à témoin et de tenter de voir en quoi et comment je suis ou pourrais-être passéiste. Remarquez que le mot, généralement, est teinté d’une certaine forme de mépris, voire même d’injure, dans la bouche de certains; politiques et militants de tout poil qui lui donnent un sens qui pourrait s’apparenter à “vieux croûton”, “néanderthalien”, “fossile” et autre “réactionnaire”, “révisionniste” et j’en passe. Afin d’être bien compris, je vais illustrer mes propos par cette anecdote: Lundi soir, je suis allé au cinéma. C’était le jour des Grands Classiques au Churchill et l’on projetait un film de Douglas Sirk, “Written of the wind”, tourné en 1956, projeté en version originale. Comme il n’est pas l’heure de la critique hebdomadaire - ce sera pour tout à l’heure - je ne vais rien dire de cette histoire mais bien plutôt vous parler du décor et des accessoires. 1956; j’avais 11 ans. C’était le temps des grosses voitures américaines, les Dodges, les Cadillacs, les Studebakers, les Plimouths... c’était aussi le temps des premières Dinky Toys, dont je rêvais devant les étalages des magasins de jouets et dont, petit à petit, je commençais la collection. Je revois comme si c’était hier, la maquette de la Chevrolet Impala, c’était une Corgi Toys et c’était une des premières à posséder une vraie suspension. Je l’ai fait rouler pendant des heures et des centaines de kilomètres sur la table de la modeste cuisine du modeste appartement de mon enfance. Et, je vais vous dire, ces grosses américaines, bordel de moi, c’était de la bagnole. C’est comme la 4 chevaux Renault, la DS 19, les Simcas, la Peugeot 203 et autres merveilles comme la Dauphine, ou cette Corvette... Et bien que les voitures me laisse aujourd’hui parfaitement indifférent et que je ne possède pas de permis, je me suis souvent imaginé, à cette époque lointaine, au volant d’une Panhard, celle dont les phares avants ressemblaient à des yeux aux paupières tombantes. Oui, tout cela était beau; il y avait du charme dans les choses, dans l’odeur de la petite épicerie où nous allions, mon frère et moi, fièrement et comme des grands, acheter juste un kilo de patates, une botte de poireaux, trois pommes et un bâton de chocolat pour le dessert. Le boucher emballait le rôti ou les côtelettes dans un beau papier rouge, qui était du vrai papier, tout comme la page du journal du jour d’avant qui parachevait le cérémonial. Et les filles... Ah, les filles de ce temps-là. Jusqu’à la grande école, elles étaient vêtues de robes à fleurs, elles portaient des chaussettes blanches et des sandalettes, elles faisaient des tresses de leurs cheveux et elles avaient leurs habits du dimanche, pour la messe ou la promenade en famille dans les rues du quartier ou le long de l’Ourthe, quai des Ardennes, sous les marronniers. Nous les garçons, nous attendions aussi d’en avoir fini avec l’école primaire pour passer des culottes courtes au premier pantalon. Les filles, elles, enfilaient leurs premiers bas nylon à couture et le vent, parfois, quand il voulait bien y mettre un peu du sien, dévoilait, en soulevant leurs jupes-cloches, de ces images troublantes que ceux de mon âge ne peuvent avoir oublié. Et puis, il y avait la radio; les feuilletons de Radio-Luxembourg avec la famille Duraton, Zappi Max sur Europe 1 et le jeu des milles francs; et Edith Piaf, les compagnons de la chanson, Charles Trenet... Et en été, le soir, les gosses jouaient dans la rue pendant que papa, maman et les voisins, assis sur des chaises papotaient et riaient. Oui, je suis passéiste. Et nostalgique de cet heureux temps qui ne reviendra pas.
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