L’autre après midi, j’étais installé dans le train, à la gare de Verviers dans l’attente d’un départ imminent pour Liège où je rentrais après quelques heures consacrées à mes occupations du moment. A ma gauche, le quai d’embarquement numéro 1, à ma droite, un haut mur de pierre du pays longeant les voitures. J’étais paisiblement installé, donc, et je remuais mentalement l’une ou l’autre pensée, de celles qui s’agitent en moi et qui ont trait, bien évidemment, aux innombrables problèmes et questions qui se posent à tout être vivant et pensant par le simple fait que, justement il soit vivant et pensant, dans ce monde-ci et pas ailleurs, à ce moment précis et pas avant ni après. Pour le dire simplement, j’étais plongé le plus sérieusement du monde dans des réflexions que je suis bien obligé de qualifier de philosophiques et cela sans aucune forfanterie, faites moi l’amitié de le croire. Et puis, soudainement, mon regard est attiré par une pousse de lierre ayant pris racine dans le joint de ciment séparant deux pierres du mur, à quelques centimètres à peine de la vitre du compartiment que je partageais avec d’autres voyageurs dont, en face de moi, un homme lisant son journal. Je suppose que c’est le genre de minuscule évènement qui doit vous arriver, à vous aussi. Vous êtes tout entier dans une occupation ou une autre et puis, sans crier gare, vous êtes, bien malgré vous, distrait de ce que vous êtes en train de faire, ou de penser. Pour en revenir à mon lierre, ma première réaction a été de m’émerveiller devant la ténacité et le courage de ce petit bout de végétal, arrivé là tout à fait par hasard sous forme de graine et, poussé par la nécessité, mené l’une après l’autre ses délicates petites feuilles vers la lumière. Et, voyez vous, à cet égard aussi, j’en viens à me poser un certain nombre de questions qui vont peut-être vous sembler dénuées de tout intérêt mais qui, pour moi, mérite qu’on s’y arrête. Il est convenu, très généralement, de considérer que l’homme est le seul être vivant de ce monde-ci à être pensant et conscient de l’être. Maintenant, ce constat ne me paraît pas entraîner nécessairement que l’on puisse exclure absolument le fait que, peut-être, et sous des formes et des modes évidemment tout à fait différents, les animaux et les plantes ne puissent être eux aussi doué d’une forme de conscience et capable, chacun selon son genre, de communication. A ce propos, je suis tombé l’autre soir, au hasard du zapping auquel, je le confesse, il m’arrive de m’adonner dans les moments de pleine disponibilité à l’ennui, sur un reportage consacré à un sujet qui risque bien de faire sourire certains d’entre vous. Il était question de ces minuscules et passionnants insectes sociaux que sont les abeilles. Comme vous le savez, les abeilles sont depuis longtemps relativement domestiquées par les apiculteurs qui connaissent fort bien la manière dont ces animaux sont organisés au sein de la ruche, comment et où elles se déplacent à la recherche des fleurs et du pollen de celles-ci qu’elles utilisent pour fabriquer le miel qui sert de nourriture à la communauté et que l’homme recueille pour son usage. Il se fait que, depuis quelques années, on observe que les abeilles sont en train de diminuer en nombre et en vitalité et cela en raison des tonnes de pesticides qui sont déversées chaque année sur les cultures. Or, si les abeilles recueillent le pollen, dans le même temps, elles jouent un rôle capital et absolument irremplaçable dans la perpétuation des espèces végétales qu’elles visitent en tous sens. Donc, de moins en moins d’abeilles, de moins en moins de fleurs dans les champs et les bois, déséquilibre grandissant dans l’ordre de ce qui constitue notre environnement naturel. Et contrairement à une idée qui reste très présente dans l’esprit de beaucoup, nous ne sommes pas en face de la nature comme face à un adversaire qu’il s’agirait de réduire à l’esclavage. Notre présence au monde est intimement liée à celle de tout ce qui nous entoure et qui était là bien avant nous. Se rendre à cette évidence ce serait déjà commencer la révolution.
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