Que les choses soient claires; je vais faire allusion à un film, seulement une allusion, rien de plus. Qui va me permettre, comme à l’habitude d’y aller de mes commentaires et digressions. Lesquels vont, et j’en suis par avance heureux, donner l’occasion à l’un ou à l’autre, de me faire tenir telle lettre de désaccord ou de complicité, ce sera selon. Ce film, c’est une histoire. Une histoire d’amour, une de plus, une parmi des centaines de millions d’histoires, depuis le temps que les hommes en parlent, de l’amour. Et tenez, là tout de suite me revient aux narines l’odeur de cette petite fille, qui fut, je pense, la première à m’émouvoir, vers mes six, sept ans, une odeur de savon dans ses cheveux blonds, sur son visage. Je crois me souvenir qu’elle s’appelait Yvette. Dans le film, il y a Joël et Clémentine. Ils se rencontrent sur une plage du pacifique, en hiver. Ils se rencontrent, se parlent et rient ensemble. Et puis, ils s’aiment. Quoi de plus banal. Ils s’aiment et puis, on ne sait trop comment ni pourquoi, ils ne s’aiment plus. La vie, les séparent. Voilà. La vie, le chemin, les petits riens qui font la vie; les petits riens qui sont des évènements de première grandeur si on sait les voir; et qui sont lourds de sens, qui font et défont ce qui était là, plein de promesses et lourd d’avenir. L’avenir et le passé, le temps qui passe; et cette officine où Clémentine et Joël, l’un à la suite de l’autre vont faire le ménage dans les tréfonds de leurs cervelles. Pour oublier, effacer les souvenirs, pour ne plus souffrir, pour tirer un trait sur cela qui était et qui n’est plus... Sur cet échec insupportable, cette plaie ouverte, qui laisse le sang de la passion s’écouler et se tarir. C’est une fable, ce film, une fable ou un conte à l’usage des amoureux, des amants, des amis, de toutes celles et de tous ceux qui se promènent dans le monde dans l’attente de cette éclaircie dans la nuit de leurs solitudes. Mais au fond, c’est quoi, l’amour ? C’est quoi être amoureux ? Pourquoi tout cela tient-il tant de place dans la vie des gens, dans l’histoire du monde, dans la littérature, au cinéma, dans les chansons que l’on fredonne pour soi seul... une chanson triste ou une chanson gaie où il y a des amants qui ne s’aiment plus et des amants qui s’aiment, qui s’aimeront toujours même quand le monde aura disparu. Il y a la raison et il y a ce qui s’y oppose le plus radicalement: le phénomène d’amour. Car on le sait bien, tout de même, que l’amour est aussi ce qu’il y a de plus fragile, de plus aléatoire, et je parle ici de l’amour-passion, celui dans lequel on s’embarque sur une mer calme et uniformément bleue, sans bagages et sans bouée de sauvetage, persuadés, inconscients que nous sommes, que la mer sera toujours bleue, qu’aucune tempête jamais ne menacera le joli navire bleu et blanc, avec sa voile rouge. Et puis voici que les vents mauvais se lèvent, que les flots noirs se déchaînent, ballottant le fragile esquif, déchirant la voile comme on déchire une photo ou une ancienne lettre remplie de toujours, et de jamais. Et puis le bateau chavire, il prend eau de toute part et il sombre et s’enfonce dans les eaux glacées. Revenus à terre, on ne sait par quel miracle, plus seul que jamais, on se dit qu’il va falloir oublier. Mais on n’oublie pas, on est submergés par les souvenirs, les beaux, les tendres souvenirs. Et l’on se dit que, peut-être, on pourrait recommencer, se revoir, faire le point, ne pas en rester là, sur cette grève d’où l’on était parti. La passion s’en est allée et c’est tant mieux. Que reste-il, alors, de cet amour ? Tout le reste, tout ce que la passion nous avait empêché de voir. L’infinie tendresse, l’attention à l’autre, un attachement qui va bien au delà de l’ancienne ferveur fiévreuse de la chair. Vient alors le temps de l’amour-sagesse, le temps de l’apaisement; et celui de la patience. Tout peut recommencer, oui, mais jamais de la même façon, car on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Et c’est bien ce qui rend la vie si belle et si passionnante.
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