C'est fou vous savez ce qu'on peut raconter sur les gens en général et sur les étrangers en particulier; si on ne lisait que certains canards et si on avalait sans mastiquer tout ce qui se raconte sur le petit écran, on serait horrifié. Fort heureusement, il se trouve des voyageurs pour revenir des pays lointains avec, dans leurs bagages, de quoi remettre un peu d'ordre dans le fatras des idées toutes faites et si mal faites. Petite parenthèse avant d'aller plus loin: ce que je vais relater pas plus tard que dans quelques instants, je l'ai vu à la télé; surtout n'allez pas en déduire que je ne passe mon temps qu'assis devant cet engin à images, vous commettriez une grave erreur, je me ballade aussi beaucoup, je hume l'odeur du temps, je lis et, parfois, l'après-midi, je fais la sieste. Et quand je me plante devant la petite lucarne c'est pour apprendre des choses. Pour en revenir à ce voyageur, un reporter de la BBC, plus précisément; sachez qu'il a entrepris un long périple dans cette partie du monde qui est officiellement considérée comme un enfer où ne vivent que des brutes sanguinaires et fanatiques, entièrement soumises à un dictateur avec lequel, pendant longtemps, l'occident a entretenu d'excellentes relations d'affaire en lui vendant quantité d'armements de toutes sortes qui, effectivement, ont servis pendant la guerre dites «du Golfe». Comprenons nous bien: je ne suis pas en train de dire que Sadam Hussein est un enfant de choeur ni qu'il peut dormir la conscience parfaitement tranquille; la question n'est pas là. Ce qui est important c'est que ce type, qui s'est baladé avec sa caméra dans Baghdad pour en ramener autre chose que des bribes de pseudo-informations sur la vie que mênent réellement les Irakiens était, évidemment accompagné dans tous ses mouvements par un garde du corps intérimaire - moustachu, bien sûr - officiellement mandaté par le ministre de l'intérieur qui lui conseille de ne pas filmer tel endroit, d'éviter tel autre, de plutôt mettre l'accent sur ceci ou cela enfin, le boulot de tout garde du corps dans cette situation. L'extraordinaire, le remarquable, c'est que le sympathique bonhomme est un type disons, ordinaire; professeur d'anglais au chômage, recyclé dans un boulot qu'il improvise du mieux qu'il peut; le quotidien de beaucoup d'Irakiens ressemble fort à celui de quantités de gens de par chez nous; on se débrouille comme on peut, faut bien bouffer. Pour le reste, le brave type voue une admiration sans borne pour un pays qu'il n'a jamais visité, la Grande-Bretagne et ses footballeurs de légende, les Keegan, Boby Moore et autres héros dont ils possédait des quantités de photographies qu'il a dû se résigner à vendre pour ne pas crever de faim. A moi aussi, il m'est arrivé de me débarrasser de quelques trucs auxquels je tenais pour faire face à des imprévus, je connais. Et puis, de ballades en ballades, de crèmes glacées en reportages dans les rues, au fil des jours, l'amitié et la complicité s'installe entre les deux hommes. On ne sait trop pourquoi, le guide perd son boulot, il est remplacé par un autre fonctionnaire, tout aussi dèbonnaire et souriant qui autorise notre reporter à s'intéresser à son ex-garde du corps, à pénétrer chez lui. On fait connaissance de la vieille maman, on assiste au retour du frère des prisons Iraniennes où il a passé plus de quinze ans, à la suite du conflit meurtrier qui a opposé les deux peuples dans les années quatre-vingts. Pour en terminer, ceci: tous les hommes partout sur cette terre, quel que soit le régime auquel ils sont soumis, quelle que soit leur religion, leur histoire passée et récente, se ressemblent; leur quotidien est le même, leur angoisse du lendemain parfaitement identique, ce qui nous distingue des orientaux, c'est notre égoïsme forcené, notre stupide prétendue supériorité, le mépris que nous affichons pour ceux qui n'en sont pas encore à internet et à la ridicule société de la connaissance. A la fin du reportage, là bas, à Baghdad, le garde du corps déchu, pratiquement privé de tout, après lui avoir fait cadeau de sa djellaba, insiste pour offrir à son ami anglais, le dîner de l'adieu. Et moi, qui suis une grosse éponge, j'ai eu l'impression que cétait à moi qu'il s'adressait, ce salaud d'irakien...
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