jeudi 12 février 2009

23 octobre 2004

Un matin d’automne, tôt, très tôt; à peine cinq heure. Le sommeil m’a quitté aussi brusquement qu’il était venu et mes rêves se sont évanouis au réveil. Et me voici, écrivant pour vous et pour moi aussi. J’ai vécu quelques beaux moments, ces derniers jours, je vais vous raconter. Lundi matin, j’étais à la campagne, chez cette vieille amie qui est la mère de mon cher neveu Olivier. J’avais passé le dimanche à de menus travaux; couper les haies, ranger la réserve à bois de chauffage pendant que, plus loin, au-delà des pâturages, les ouvriers agricoles étaient aux champs pour le ramassage des épis de maïs. Il y avait de beaux et lourds nuages, l’air était doux et je m’activais, mais à mon rythme. Josette est rentrée, nous avons bu du vin blanc et je lui ai préparé des pommes au lard, avec du pain beurré. Mais, revenons au lundi. Nous nous apprêtions à rentrer sur Liège, elle était dans la minuscule salle de bain dont la fenêtre, tout comme la vaste baie vitrée de la salle de séjour, donne sur le pré voisin, qui est entouré de bois. Soudain, elle a crié; « ean-Pierre, regarde, là...! » Et là, à quelques mètres à peine, il y avait la biche et son faon, arrêtés, le nez au vent, frissonnants dans la fraîcheur du matin. La vue de ces deux animaux, qui sont si farouches et tellement attendrissants, m’a mis au coeur ce quelque-chose d’indéfinissable qui est un mélange d’amour et de respect pour ce qui vit et nous entoure et nous est offert; comme les arbres, les buissons qui bordent la terrasse et les mésanges qui s’y ébattent. J’avais, oui, j’avais les larmes aux yeux devant la beauté et l’innocence de ces deux animaux qui se sont mis en mouvement pour rejoindre, sans doute, l’abri des bois qu’ils avaient quitté le temps de cette audacieuse escapade à proximité du pays des hommes. Ce même lundi, après un bref passage chez moi, je suis reparti, en train. J’allais chez mon jeune ami Arnaud, sur les hauteurs de Spa. Je lui avait promis d’animer un ciné-club à l’ancienne, dans un délicieux cinéma de Stavelot, qui est tenu par un type extraordinaire, instituteur à la retraite, qui ne programme que ce qui lui plaît pour des poignées de spectateurs. Et donc, après une après-midi passée à visionner chez Arnaud le film du soir, “Les invasions barbares”, nous sommes descendu, en bus, vers Stavelot, nous avons mangé un croque-Monsieur et bu quelques bières avant d’aller à la rencontre d’une douzaine de jeunes-gens et de jeune-filles, de deux ou trois adultes et de l’ancien professeur de français d’Arnaud avec qui il avait organisé cette soirée. Il y a eu le film, auquel j’avais trouvé quelques qualités et puis cet échange et les commentaires à son propos. Dont il ressortait que la mort est une fameuse affaire, dont on parle beaucoup sans en rien connaître, que les amis doivent être là pour accompagner aussi loin que possible celui qui s’en va pour son dernier voyage et qu’il est bon de rire et de se souvenir que la vie a été belle. Et puis le malade ferme les yeux sur les ultimes images qu’il emporte avec lui. Ces visages aimés, le son de ces voix et, à la fin, le silence de l’éternité. Le père d’Arnaud, le brave homme, est venu nous rechercher en voiture à presque minuit; l’adorable jeune homme et moi avons encore beaucoup parlé, en buvant quelques bières et en fumant des gauloises. Nous étions bien; comme on l’est quand on sent, au plus profond de soi, la valeur et l’intensité du présent, de ces moments qui ne reviendront pas mais qui nous font meilleurs, joyeux, absolument et résolument abandonné à la vie qui est notre bien le plus précieux et dont il faut jouir sans se poser de vaines questions sur le sens qu’elle peut bien avoir. Il s’agit seulement de ne pas se laisser distraire du chemin, notre seul et unique chemin, d’avoir les sens en éveil, de savoir rire et sautiller au dedans de nous, de répondre au sourire de cette passante inconnue, de chérir celles et ceux qui comptent pour nous et d’aller gaiement vers ce qui nous attend, là, au coin de la rue, au bout de ce chemin de campagne, dans l’autobus ou le wagon de chemin de fer.



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