Une chose est sûre, en attendant, nous avons, comme on dit, le cul dans le beurre, même si le beurre est frelaté. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de la veine que vous avez, la chance que j'ai de vivre, tout de même, dans une de ces régions du monde qui est à l'abri de la guerre et de son cortège de malheurs en tous genres. Tout le monde ne peut pas en dire autant et il suffit, pour vous en assurer de regarder la télé et de lire les journaux. Et quel que soit le talent des uns ou des autres, le cinéma ne rendra jamais qu'imparfaitement compte de la réalité de ce phénomène curieux, présent dans l'histoire de l'humanité depuis les premiers temps, que constitue la guerre qui est, à l'instar du cinéma, considérée comme un art. Oui, on dit, le plus sérieusement du monde,"art de la guerre" et des gens vont à l'école pour s'initier aux arcanes du métier des armes car, oui, la guerre est aussi un métier et dans les bonnes familles, il était et il est encore certainement de bon ton d'avoir un fils qui embrasse la carrière des armes pendant que l'autre voue son existence au Seigneur, et il y aussi des prêtres qui se font aumonier militaire et qui bénissent et réconfortent ceux qui s'en vont au casse-pipe. A ce propos, l'autre soir j'ai suivi avec émotion le remarquable document réalisé par Peter Kominski et diffusé sur Arte qui relatait avec une précision extraordinaire le long et douloureux calvaire de ces militaires Britanniques qui, dans le cadre de la mission des armées de l'ONU, étaient chargé de la protection des civils en Bosnie. Un téléfilm comme on en voit que trop rarement, avec des acteurs débutants, d'illustres inconnus qui donnent à cette reconstitution plus vraie que nature une force et une crédibilité proprement extraordinaire. Ce sont donc des jeunes gens, officiers, sous-officiers, soldats que l'on a expédié là-bas et dont le rôle est de venir en aide aux populations harcelées par des types dont je m'excuse de n'avoir pas bien saisi d'où ils venaient, à quel camp ils appartenaient, au nom de qui ou de quoi ils s'acharnaient avec une telle sauvagerie sur ces hommes, ces femmes et ces enfants; c'était des hommes, ça j'en suis sûr, qui allaient de villages en villages, de maisons en maisons, qui pillaient, incendiaient, violaient, torturaient et tuaient avec ce détachement rigolard qui faisait penser -horriblement penser- qu'ils participaient à un jeu, un jeu cruel et raffiné; le jeu de la terreur, le jeu de la honte et du désespoir. Et ces braves ploucs, de ces types comme il s'en trouve partout, qui sont engagé dans l'armée parce que, par les temps qui courent, on ne crache pas sur le boulot et que l'armée de métier c'est un boulot puisque c'est plus ou moins bien payé, ces braves garçons, vraiment, assistent à toutes ces horreurs, font ce qu'ils peuvent et seulement ce qu'ils peuvent dans le cadre strict de leur mission qui leur interdit d'intervenir directement dans le conflit, de prendre parti pour l'un ou l'autre camp. Des femmes violées et mutilées, des enfants crucifiés, des hommes coupés en morceaux, la tête d'un côté, le tronc, les jambes et les bras de l'autre, entassés comme des carcasses de bétail dans des camions, c'est à cela qu'ils assistent, impuissants et meurtris ces pauvres types qui rentreront chez eux complètement délabrés, cassés, hantés par les souvenirs de cette boucherie dont nous savions, nous, qu'elle existait bel et bien, que ça se passait là où, à une époque, on partait en vacances pour pas trop cher, du temps du Maréchal Tito, du temps que ces contrées étaient à l'abri de la connerie et de la barbarie. Et je viens d'avoir cette vision futurrible: on est dans quelques années d'ici, à la suite de je ne sais quelles circonstances le torchon se met à brûler entre nos voisins flamands et nous et paf, sans crier gare, c'est la guerre civile et je vois de ces gens que je croise tous les jours à la boulangerie de mon quartier, je me souviens de mes amis du nord, avec qui j'ai travaillé pendant des années et je les vois, tous, aller et venir en riant, poursuivant ma compagne mes enfants et les siens et ceux des autres et ma mère et mes soeurs; ça saigne de partout et moi aussi, je me mets à tuer, à tuer, à tuer...
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