dimanche 8 février 2009

5 mai 2001

Je n’ai aucun scrupule à vous en faire la confidence: Ce fameux soir de 1981 qui a vu François Mitterrand devenir Président de la République, j’étais à Paris. Quelques uns de mes amis de l’époque, plus ou moins proches du parti socialiste local, avaient affrété un autocar, convaincus qu’ils étaient de la victoire de celui qui incarnait à plus ou moins juste titre une gauche dont ils attendaient qu’elle allait, treize ans après les événements de mai, changé la vie puisque tel était le slogan qui s’affichait partout dans la douce France. Après De Gaulle, Pompidou et Giscard, voici qu’arrivait à la fonction suprême cette figure emblématique d’un espoir qui avait ses racines dans le front populaire, dans la commune de Paris et même dans le souvenir confus de 1789 et de la prise de la Bastille. La place du même nom retentissait, cette nuit là, des chants et des rires des rescapés des barricades qui avaient fleuris dans le quartier latin et dont le souvenir restait vivace dans d’innombrables coeurs. Les visages, la multitude des visages qui se mêlaient aux drapeaux rouges et tricolores, je les revois encore, tout comme je revois ce café où nous nous étions retrouvés, à l’aube du premier jour de ce nouveau règne, avec des gens que nous ne connaissions pas une heure auparavant et qui parlaient, parlaient et parlaient encore... “Ah, vous allez voir, tout va changer, c’est le retour de la question sociale, des têtes vont tomber, finie l’arrogance des puissants et des nantis, le peuple est là, le peuple fait la fête, tout Paris vibre des chants de la victoire...” C’est cela qu’ils disaient, ceux qui s’appelaient camarades et qui voulaient que nous les nommions camarades et qui nous appelaient camarades. Je ne les ai jamais revus, évidemment et François Mitterrand est mort comme est morte cette belle flambée, comme se sont refroidies les cendres de cette espérance. Le monde a eu raison de ces millions de battements de coeurs, la gauche, l’idée de la gauche a été confisquée et défigurée par les professionnels de la gauche, là bas comme ici, comme à peu près partout ailleurs. J’ai fait, mardi, mon petit tour au rassemblement socialiste, boulevard D’Avroy, à Liège; j’ai écouté quelques minutes du pauvre discours de l’actuel président de ce parti qui n’a plus de socialiste que le nom et puis, écoeuré, je suis allé me promené Place Saint-Paul, là où étaient réunis les communistes, les trotskystes, ceux qui se battent encore pour des causes perdues... Et jeudi soir, j’étais devant le petit écran pour suivre, avec toute l’attention requise, ces fameux entretiens que l’ancien Président a accordé, pendant de longs mois, à Jean-Pierre Elkabach. Pour voir, pour entendre, pour avoir confirmation de l’idée que je me faisait de ce personnage, pour saisir les instants et les mots, pour, enfin, me conforter dans cette certitude de ce que, décidément, le pouvoir et l’exercice du pouvoir, la lutte opiniâtre dans le seul but du pouvoir, peuvent façonner une vie, construire un destin et fonder une légende. Je dois le dire, je n’en sais pas beaucoup plus à l’heure où j’écris ces lignes. Il demeure un mystère et ce mystère est celui de tous les hommes, les illustres comme les humbles, mais les humbles, les journalistes ne s’intéressent pas à eux, à moins qu’ils ne se signalent par un acte hors du commun, qu’ils soient assassins ou héros occasionnel, qu’ils sauvent une jeune enfant de la noyade ou qu’ils trucident une famille entière à coups de hache. L’homme illustre, lui, concède un peu de son temps, qui est si précieux, à tel ou tel autre, il change de cravate à chaque rencontre et il parle. Il parle de lui, toujours, même quand il parle des autres, de ses amis, de ses adversaires, il parle pour la postérité, pour sa postérité, il veut par dessus tout ne jamais tomber dans l’oubli et pourtant, dans le creux de ses confidences, des failles infimes sont perceptibles, un clignement de l’oeil, une façon dont le regard, un instant, se perd, une nuance dans l’intonation et voici l’homme illustre apparaissant dans sa pleine condition d’homme, d’homme semblable à tous les autres hommes, d’homme sachant qu’il est mortel, comme tous les hommes.





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