jeudi 12 février 2009

16 avril 2005

Avant d’entrer dans le vif de notre discussion de ce jour, laissez moi vous dire que, en toute modestie, je suis assez content de moi. Il semble bien, au vu de quelques unes de vos réactions, que ma chronique de la semaine dernière a été parfaitement comprise, j’en suis heureux, évidemment. Mais foin de considérations Vaticanes, liturgiques et autres, comme d’habitude, j’ai pas mal médité, ces jours-ci et il en résulte ceci; accrochez vous... En regardant le ciel, en laissant mes regards aller au hasard des images qui s’offraient à moi, j’ai pensé ou, plus exactement, j’ai imaginé qu’ailleurs, près d’ici ou dans un lointain pays ou le parler est différents, le paysage plus aride, ou plus montagneux ou plus verdoyant de forêts immenses, un autre homme, ou une femme, pourquoi pas, regardait le ciel. Un seul et unique ciel; le même pour tous les hommes, pour toutes les créatures vivant sur cette planète: cela est vrai, cela ne peut être mis en doute. Est vraie aussi et incontestable, la présence pour tous les hommes, de cela qui l’entoure et le berce; les fleuves tumultueux ou les charmants ruisseaux au milieu des champs, les prés, les bois, les forêts et les animaux qui y vivent. Est vraie et incontestable la beauté et la majesté des océans, les vagues qui viennent se reposer sur les plages de sable fin ou qui se jettent à corps perdu sur les falaises de calcaire en tourbillonnant. Est belle et vraie la grandeur de l’astre du jour, la troublante étendue de la voie lactée et les myriades de mondes qui tournoient dans l’infinité du temps et de l’espace. Tout cela est vrai mais ne nous appartient pas, s’offre à nous, seulement et nous enveloppe et fait partie de nous autant que nous en faisons partie. Je vois dans cette évidence une raison suffisante de ne pas avoir besoin d’une forme quelconque de religion pour satisfaire mon goût ou mon besoin d’absolu. Est divin ce qui est là de toute éternité et sera toujours là; ce qui, dans la somptueuse marche des univers, dans l’éclatante lumière du matin, dans l’écorce d’un arbre ou le frémissement d’un bosquet nous dit seulement ceci: Regarde, respire, écoute et fais silence. Et prie si tu le veux et à ta façon, communie avec la pluie qui te dégouline sur le visage, avec les flocons de neige, avec les rayons du soleil qui frappent à ta fenêtre, avec l’inconnu qui ce matin t’a souri et puis a poursuivi son chemin. Est beau et vrai ce souvenir: La semaine dernière nous nous promenions, elle et moi, dans les bois, sur les hauteurs de Spa. Sous son imperméable jaune, elle avait, sur mon insistance, enfilé une veste noire à capuchon, que je portais jusqu’à ce qu’elle me dise avoir un peu froid. Elle a rabattu le capuchon sur ses cheveux, qui sont fins, dorés et parfumés. A un moment, nous avons longé des troncs d’arbres abattus, qui gisaient à la droite du chemin que nous suivions. Elle a pris un tout petit élan et s’est juchée sur l’un deux; elle sautillait dans un équilibre instable sur la surface cylindrique de l’arbre mort, comme la petite fille qu’elle a été quand elle se promenait avec ses parents, il y a bien longtemps. Et qu’elle grimpait avec la même innocence et le même sérieux sur le tronc allongé d’un autre arbre. Dont on a peut-être fait une table, ou un meuble où l’on range les draps de lit fleurant la lavande, ou bien, encore, une bibliothèque où reposent de beaux livres pleins de pensées et d’images. Et, à propos de livre, je viens de terminer le merveilleux ouvrage que Marguerite Yourcenar a consacré à cette haute et fière figure qu’était l’Empereur Hadrien, successeur et fils adoptif de Trajan. Tout à la fin du livre, Hadrien, sur le point de mourir, parle à son coeur, et il dit ceci, que je vous invite à méditer: “Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts...”





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