Celui-ci, par exemple, qui fait partie de mon cercle; pas le Cercle où je prends le thé après ma partie de golf hebdomadaire, non, le cercle dans lequel, lui et quelques autres se tiennent sans se bousculer, le cercle de celles et de ceux qui me font don de leur amitié, de la chaleur qui m’est nécessaire et qui donne à mes jours cette impalpable lumière, cette douceur attentive et patiente qui repose en moi et me donne le courage de vivre encore. Celui-ci, disais-je, qui est passé chez moi lundi soir, épanoui, débordant d’avenir, amoureux: voilà, amoureux. Que c’est beau un jeune-homme qui, hier encore avait le coeur dévasté, qui regardait son monde s’en aller à la dérive, que c’est beau les mots qui lui viennent, ces mots de rien du tout qui sont les mêmes depuis que l’amour habite l’univers. Quel réconfort que ce visage ensoleillé par les promesses naissantes qui font taire les souvenirs des anciens serments. Quelle étrange et inexplicable alchimie que celle qui préside au miracle qu’est la naissance de l’amour et quel tortueux chemin emprunte-t-il, l’amour pour, parfois, être brisé net dans son élan et tomber tel un grand oiseau aux ailes disloquées. Mais cet oiseau et tous les autres, que leurs cendres se dispersent au gré des vents de ce printemps; assez des sombres nuées au dessus des mornes sépultures ! La vie déborde de partout: le polygonum, dans la petite cour est pris de frénésie, il pousse ses feuilles en forme de coeur dans toutes les directions, le vert flamboyant est à la fenêtre de la pièce où je travaille; du coin de l’oeil je le vois vibrer, là, en haut, sur ma gauche et puis, à l’instant, la brume du matin se disperse et le soleil tente une sortie timide tandis que, dans la cuisine, de l’autre côté de la cour, un petit chat, arrivé dimanche sommeille paisiblement dans la caissette garnie d’un bout de couverture. Ah, le petit animal... qui ajoute à la poésie des lieux, joue avec tout ce qui lui tombe sous la patte, me suis partout, jusque sur le petit divan où je me prépare à la sieste, grimpe sur mes genoux, escalade ma poitrine et cale sa jolie petit tête qui sent la vanille sous mon menton et s’y endort en même temps que moi. Pour l’heure, il est dans la cour à se disputer avec un brindille et il saute et caracole, roule sur lui-même, se dresse sur ses pattes arrières, fait trois ou quatre bonds et puis se lance dans une course effrénée à la poursuite de la boulette de papier que je lui lance. Je l’écrivais tout à l’heure à un vieil ami: nous sommes comptable de notre bonheur, c’est à nous de veiller à sa fragile présence en nous, autour de nous. Quand il se présente à nous, surtout ne le laissons pas s’enfuir trop vite, retenons-le autant que possible et bénissons cet instant qui ne reviendra plus. Et bénissons la vie même si elle n’a pas de sens ou si ce sens nous échappe et nous est à jamais inaccessible; bénissons l’amour aussi, celui-ci, qui n’est plus et toutes les amours qui font naître l’avenir pour celles et ceux qui y renaissent et qui sont transformés et heureux. Denise avait raison, qui m’écrivait, à la suite d’une de mes chroniques, “... et pourquoi détourner les yeux quand on les voit s’aimer? Est-ce que la nostalgie ou la peine ne sont pas infiniment préférables au neutre? D’avoir connu sur sa joue une main à fleur d’âme nous a rendu, pour toujours, sensible d’une façon bien particulière au parfum des Lilas et au bonheur de la vie”. Voilà ce qu’une vieille dame m’écrivait, une vieille dame que je vais avoir, sous peu, le plaisir de rencontrer chez des gens charmants qui habitent pas loin de chez moi et qui m’ont invité. Des amitiés vont naître, je le sens bien, et puis il y aura des mots et des rires, du vin et du fromage, du soleil, sans doute. Oui, je sais, tout cela peut paraître de peu d’importance devant les désastres qui s’accumulent un peu partout et de tant de manières. Mais enfin, comme le disait Montaigne “La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi. Il est temps de nous dénouer de la société puisque nous n’y pouvons rien apporter.”
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