Hé bien voilà, on y est dans ce fameux troisième millénaire et l’évènement a été plus ou moins allégrement fêté ici et là mais plus particulièrement là, sur les chaînes de télévision qui n’ont pas manqué l’occasion pour nous remettre sous les yeux quantité d’images des temps anciens, du temps où nous vivions encore au XXéme siècle, je vais y revenir. Ce qui est surprenant, pour nous qui avons la chance ou la malchance, c’est selon, d’avoir vécu si loin dans le passé et d’être là, dans ce présent, c’est de n’avoir aucune conscience réelle, tangible, du moment de ce passage d’un millénaire à l’autre. Que celui ou celle qui aurait vécu dans la profondeur de sa chair ce moment prétendument historique lève la main et vienne nous expliquer à quoi ça ressemble, le temps. Moi, en tout cas, le premier janvier, j’ai vu le jour poindre à l’heure prévue et c’était un matin comme tous les autres matins d’hiver, avec quelques nuages dans le ciel, un soleil, toujours le même, qui apparaissait timidement et la vaisselle sale du soir précédent, les bouteilles de vin désespérément vides, les restes du canard à l’orange dans le plat ovale et le mimosa, dans le vase étroit, qui laissait échapper ce qui lui restait de parfum. Et là, aujourd’hui, devant mon clavier, j’essaie de rassembler quelques vagues idées et impressions afin de vous en faire part, histoire de ne pas vous faire regretter de vous être levé avant les enfants pour nous rejoindre. Pour en revenir à la télé, donc, sur cette chaîne que l’on qualifie stupidement de “culturelle” alors qu’elle n’est qu’un peu moins racoleuse que les autres, on faisait le tour de ce qui était advenu et de ce qui allait arriver dans à peu-près tous les domaines en compagnie de scientifiques et d’artistes de renom sans oublier, bien sûr, la présence indispensable en ces circonstances, d’un non moins renommé et très médiatique philosophe, j’ai nommé Luc Ferry qui sortait de chez le coiffeur et qui avait mis son costume du dimanche pour l’occasion. A la question du meneur de jeu de cette longue et - par certains côtés - passionnante émission, à la question, disais-je, de savoir ce que donc était l’homme et quelle était sa place dans l’univers et plus particulièrement sur cette bonne vieille terre, le penseur, après avoir fait “Hem, hem” et s’être arrêté de marcher déclara ultra-sentencieusement ceci: “Il y a, voyez-vous, cher ami et chers téléspectateurs, deux manières de voir les choses; pour commencer on peut, en se référant à la pensée écologiste, je dis la pensée et non les partis écologistes, ce n’est pas la même chose, quoi, on peut considérer que l’homme fait partie intégrante de l’ordre naturel des choses, que sa place est égale, dans le monde, à celle qu’occupent toutes les autres espèces vivantes qui toutes, ont droit au respect et qu’il s'agit de préserver. Ensuite, et cette position est celle que je défends, on peut considérer, on doit considérer que l’homme est à part dans la création, ne serait-ce que parce que il est le seul à avoir conscience de l’autre, le seul à regarder l’autre dans les yeux comme je le fais avec vous en ce moment mais surtout n’y voyez aucune malice je ne mange pas de ce pain-là, l’homme, donc, est la créature la plus élevée dans l’ordre de la création, il est en droit de se soumettre la nature et de prendre la place qui est la sienne dans un monde qui n’est là que pour lui, d’ailleurs, ajouta-t-il, regardez moi cette cravate, et je ne vous parle pas de ma nouvelle bagnole. Pas un mot sur les forêts qui se barrent, ni sur les océans au radium enrichi, ni sur la question de savoir s’il faut ou non laisser l’effet se faire, je veux dire, l’effet de serre se faire; pas un mot sur la grandeur et l’exception humaine qui nous ont offert Auschwitz, la torture en Algérie, Tchernobyl, les guerres de religion, l’inquisition, les bouchons sur les autoroutes, la bombe H et les armes chimiques et bactériologiques, les crèves-la-faim partout et j’en passe. Je pense que cette grosse tête molle devrait troquer son costume trois pièces contre un maillot de bain et aller s’asseoir sur le sable d’une plage au large de laquelle s’ébattent des dauphins ou des baleines à bosse et puis plonger dans l’eau et nager aux côtés de ces animaux sans importance...
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