Que l’amour, sous toutes ses formes et l’infinie variété de ses manifestations, constitue l’un des thèmes majeurs véhiculé par le cinéma, voilà bien un constat qui, me semble-t-il, ne sera contesté par personne. Et à côté de l’amour ou, en tout cas, à son immédiate proximité, se tient l’amitié; étrange et tout aussi inexplicable inclination qui fait se rencontrer les hommes comme les femmes et qui, parfois, est plus solide et plus durable que les liens de la passion amoureuse. Les amis ne sont pas encombrés par les sentiments parfois violents que sont la jalousie, la possession ou la trahison qui sont, hélas si souvent, le propre des relations d’amour. Cela étant et à propos d’amitié, laissez moi vous raconter une histoire, une histoire vraie, d’autant plus vraie qu’elle m’est arrivée et que je me réjouis qu’elle me soit arrivée. Je ne dirais rien du cadre, ni des circonstances précises qui m’ont emmené dans ce lieu si hautement chargé de symboles et d’histoire qu’est un café; un grand et très ancien établissement qui a cette particularité d’être ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et depuis si longtemps que l’on raconte que s’il fallait le fermer pour une raison ou une autre, on serait bien embêté puisque la clef de la porte d’entrée a un jour disparu et que l’on n’a jamais pensé à la faire remplacer. Comme dans tous les cafés, il y a, d’un côté, celles et ceux qui ont la tâche parfois ingrate de servir ceux qui sont de l’autre côté, à savoir les clients. Les clients, ici, sont de toutes conditions; il y a des professeurs d’université, des monteurs en charpente métallique, des chômeurs de longue durée, des poètes et des pensionnaires de l’institut psychiatrique des environs, des obsédés de ce jeu électrique où la petite bille métallique ne tombe que rarement dans le bon trou et des chauffeurs de taxi qui, la nuit, entre deux courses, prennent un verre en vitesse ou tout à leur aise, c’est selon et puis qui repartent sillonner les rues de la ville avec à leur bord les princes et les naufragés de l’ombre.Je me suis pris d’amitié pour quelques-uns des représentant de ce monde bizarre de la nuit avec lesquels, au départ et à priori, je ne me sentais aucune affinité particulière. Mais il ne m’aura fallu que peu de temps, finalement, pour aller à leur rencontre et eux à la mienne; je pense à cet immense bonhomme tonitruant et rigolard, rouspéteur et soupe au lait et qui, dans les profondeurs de ses cent kilos, cache mal un coeur tendre et une immense gentillesse; son boulot à lui c’est de veiller au grain, de donner à l’occasion le coup de main nécessaire au garçon de service, ce qu’il fait avec une efficacité toute professionnelle et, à la demande, de confectionner les repas qui sont servis à toute heure du jour et de la nuit mais lui, c’est la nuit. Et puis, il y a ce taximan que j’ai reconnu la première fois que je l’ai vu et dont je me suis souvenu qu’il y a plus de quarante ans, nous jouions ensemble au football, dans ce quartier de Droixhe où j’ai passé la fin de mon enfance et une adolescence heureuse. Nous avons bien changé, tous les deux et lui, qui rit beaucoup et souvent, a des yeux tristes et c’est cela, sans doute, qui me touche autant chez lui. Je ne vais pas passer tous ceux-là en revue, je ne peux parler de tous, cela me prendrait trois ou quatre de ces chroniques; qu’ils sachent seulement que de les connaître, de les avoir rencontré m’a ouvert d’avantage encore le coeur, que la chaleur qu’ils m’ont apporté ne s’éteindra pas de si tôt. Car, oui, cet endroit, cet îlot perdu dans la nuit avec ces ombres et ses lumières, ces quelques clients avec lesquels j’ai sympathisé et échangé quelques mots, tout cela n’a fait que me conforter dans la certitude de ce que, fondamentalement, les hommes sont parfaitement capables de se rencontrer et de s’entendre, pour peu qu’ils acceptent et reconnaissent leurs différences en même temps que ce qu’ils ont en commun, ce lieu, cette ouverture qui est indéfinissable et pourtant tellement évidente et irremplaçable.
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