Je tiens à le dire clairement: je ne suis pas américain, je ne suis qu’un des innombrables pauvres habitants de cette pauvre planète, perdue dans l’immensité du cosmos. Je ne suis pas prêt, non plus, de m’engager dans l’une ou l’autre croisade contre ceux-ci ou ceux là, contre cette religion là pour défendre celle-ci. J’ai, je m’en excuse, d’autres choses à faire. Certes, je ressens juste ce qu’il faut de compassion à l’égard de celles et de ceux qui parcourent les rues de New-York, une photographie à la main, à la recherche de nouvelles concernant un proche; bien évidemment, ce qui s’est passé ce funeste onze septembre est au delà de toute expression mais, pour autant, je ne puis pleurer des morts avec lesquels je n’ai aucun lien. Et il me semble que la douleur collective telle qu’elle s’exprime depuis maintenant plus d’une semaine, de ce côté-ci de l’Atlantique, a quelque-chose de malsain, voire de déplacé. Car enfin, qui a réclamé une demi-minute de silence pour les Tchétchènes allégrement massacrés par l’armée russe depuis des mois, où sont les voix qui réclameraient le silence sur les stades de football à la mémoire des algériens, hommes, femmes et enfants, égorgés par les fous-furieux du G.I.A., qui a pleuré le jeune enfant palestinien mort dans les bras de son père dans les territoires occupés par Israël. Le siècle dernier, le vingtième, a dépassé en horreur et en abjection ceux qui l’avaient précédés; les millions de morts de la première guerre mondiale et de toutes-celles qui ont suivis, en passant par Auschwitz, Treblinka et le ghetto de Varsovie, les guerres civiles, ethniques et religieuses, tous ces morts exigeraient que les minutes de silence s’ajoutent les unes aux autres et que plus aucun son ne sortent de nos bouches, que le silence règne partout et pour toujours. Mais celà est impossible, je le sais, nous le savons tous. L’homme a, et c’est heureux, une faculté d’oubli extraordinaire; dans le cas contraire nous serions tous fous, nos cervelles éclateraient sous l’insupportable pression des images et des souvenirs. Quant à ce siècle-ci, il ne fait que prolonger tous les autres et, finalement, on aura beau continuer encore à découper le temps en tranches plus ou moins fines, cela ne changera pas grand-chose au visage de cette humanité, qui est un masque grimaçant dont les yeux pleurent des larmes de sang. Que dire encore, que faire devant l’étendue des désastres ? Peut-être simplement s’occuper de soi, enfin, que chacun s’occupe de lui-même. Je veux dire, que chacun , déjà, prenne soin de lui, qu’il trouve en lui les ressources et la force, le courage et la détermination qui sont nécessaires pour s’aventurer sur d’autres chemins que ceux qui sont tracés d’avance et qui grouillent de foules grondantes et aveugles. Ces chemins existent, il ne s’agit que d’aller, patiemment, à leur découverte. Et ces sentiers, j’en suis de plus en plus convaincu, sont à l’extrême opposé des grandes et austères idéologies, des croyances en des dieux qui ont raison contre d’autres dieux au point de pousser des hommes aux actes les plus aberrants, au nom des ces dieux, justement, de la même façon que se jette dans des batailles perdues d’avance les militants de toutes les causes, fussent-elles les plus désintéressées et les plus nobles. Les guerres, toutes les guerres, quels que soient les motifs qui les font advenir, ne sont possibles que parce que les combattants, les soldats des nations et les guerriers de dieu, sont déjà là, l’arme au pied, prêts à partir à l’assaut. Les guerres ne sont possibles que parce qu’il est tellement facile de se faire des ennemis; il suffit de n’être pas d’accord avec ce que dit celui-ci ou celui-là, de vouloir imposer son propre jugement pour que, à la fin, on en vienne au bâton, à l’arc à flèche ou à la bombe à neutron. Décidément, l’homme est loin du portrait optimiste qu’en traçaient Aristote et les sages de l’Antiquité; ce qui nous distingue, disaient-ils, de l’animal c’est que nous sommes raisonnables... Rions un peu, mes frères et soeurs et méditons les paroles du poète qui chantait: mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente...
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