C’est un peu comme la neige, un peu aussi, comme une pluie légère, en été et c’est aussi comme le vent qui emporte les dernières feuilles, à la fin de l’automne. Et puis, ça ressemble à un paysage, devant lequel on resterait assis de l’aube au coucher du soleil. Allez, asseyez-vous : selon la place de l’astre du jour dans les cieux, les ombres s’allongent, les couleurs varient; qu’une brise se lève et voici les arbres soumis à d’infimes mouvements; les branches font des saluts, les verts des feuilles sont tous différents et les verts de l’herbe. L’or des champ fait des vagues qui roulent de nos pieds jusqu’au lointain, là où quelques nuages caressent l’horizon. Tout est changeant et, si le lendemain vous prenez place au même endroit et que vous y passiez une autre journée, ce serait, en même temps un autre et identique paysage. Les fermes seraient à la même place, les clôtures entoureraient les mêmes prés, mais les vaches qui ruminent seraient allongées dans un tout autre ordre que le jour précédent. J’étais ainsi, l’autre nuit. Le sommeil tardait à venir et mes pensées, comme on dit, vagabondaient, sautillaient et s’étonnaient, naissaient et mouraient. Un visage m’apparaissait, toujours le même visage, changeant, lui aussi, selon l’heure et le moment, mais toujours à mes yeux le plus cher visage d’entre tous les visages. Et la neige, la pluie, le vent et les éléments, l’eau et le feu, la lumière et l’ombre, tout cela gesticulait et tournoyait en moi; mais aucune crainte ne m’habitait, je me laissais aller à ce tourbillon, je le regardais comme on regarde les images d’un film, avec un détachement pourtant attentif, je me regardais moi-même avec cette attention détachée, je regardais en moi, je plongeais, strictement, dans les ténèbres avec, à la main, la lanterne pour éclairer les murailles de cette prison où je déambulais et m’arrêtais par instant pour saisir, pour tenter de saisir, plutôt, ces instants qui étaient comme ceux d’un rêve... mais je ne rêvais pas, de cela j’étais certain. Bien au contraire, je me souviens parfaitement de l’extrême conscience que j’avais d’être dans la pleine compréhension de ce qui s’agitait là, en moi, au plus profond de moi. Tantôt le paysage apparaissait et je m’y voyait assis, dans ce paysage, assis au pied d’un arbre majestueux, les yeux fixés sur un point et puis, l’instant d’après, sur un autre. J’entendais des sons, une musique venait et s’estompait, des bribes de concerto, des roulements de timbales; un violoniste, debout à l’avant d’une scène et, derrière lui, tout un orchestre et la musique, encore, le début de ce mouvement que je connais par coeur et qui m’arrache l’âme, qui me fait goûter la saveur de la mort qui est douce et ombrageuse, belle comme le premier cri de l’enfant qui vient à naître, mêlé au sang de sa mère. J’en étais à ces méditations, à ces pensées, plus justement, sur lesquelles je n’avais aucune prise, dont je ne décidais ni la venue, ni la disparition soudaine; il y avait de l’enfance en moi, il y avait de mon enfance qui jamais ne s’en est allée tout à fait et, d’ailleurs, où pourrait-elle bien être allée, mon enfance, pourquoi devrait-elle avoir disparu de moi. Et vous, qu’avez-vous fait de la vôtre ? Où sont passé vos rêves, vos espérances et vos illusions, avez-vous déjà tout compris, tout vu, tout accepté ? Ou bien continuez-vous à chercher, chercher encore, infatigablement, avec, parfois, le douloureux sentiment que jamais vous n’arriverez nulle-part parce que, peut-être il n’y a, à proprement parler, nulle-part où aller si ce n’est, seulement et au bout du compte, en nous même Allez, c’est bientôt Noël, c’est le moment propice à la réflexion heureuse, comprenez bien qu’il n’y avait rien de triste ou de mélancolique dans ce que je disais tout à l’heure, seulement de la gravité; ça m’est venu comme ça, j’ai laissé parler mon âme et mon âme ne m’appartient pas, elle est au monde, elle est à celle-ci et elle est un peu à vous, je vous en offre quelques éclats. Joyeux Noël à tous.
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