dimanche 8 février 2009

15 septembre 2001

La guerre commence avec le verbe, la guerre est contenue dans les mots; dès lors que nous nommons les choses, nous leur attribuons de la valeur, cette valeur-ci, que nous disons être la seule vraie valeur. Face à nous, d’autres prétendent, disent avoir le droit de prétendre que pour eux, cette valeur, celle que nous défendons, n’est pas la bonne, que ce sont eux qui ont raison de donner à telle chose ou à telle autre telle ou telle valeur. Nous disons: ceci est juste; ils disent, non, cela est juste et, pour la même chose, nous sommes prêts à disputer indéfiniment. Des hommes ont étés torturé et brûlé vif sur les bûchers de la Sainte Inquisition parce qu’ils avaient découvert et qu’ils défendaient l’idée que les lois universelles ne correspondaient pas aux dogmes de l’Eglise Catholique. Aujourd 'hui, un peu partout dans le monde, s’opposent les églises, les dogmes, les certitudes premières; ce qui est juste et bon pour les uns est faux et mauvais pour les autres; ceux-là disent qu’Allah est grand, les autres rétorquent que le dieu des Chrétiens est plus grand encore. Dans cette petite ville d’Irlande du nord, vous l’avez vu comme moi, les enfants des catholiques, se rendent à l’école, pressés contre leur parents, entourés de policiers, sous les huées et les cris des parents protestants et de leurs enfants, qui lancent des pierres aux enfants des catholiques. La guerre des mots est le prélude à la guerre que se livrent les hommes, le verbe Etre est celui dont il faut se méprendre le plus. Si l’un dit que ceci est comme cela et que l’autre soutien le contraire, la bataille est déjà engagée; chacun étant certain de détenir une partie de la vérité ou, pire encore toute la vérité, la confrontation entre les deux certitudes finira par engendrer le fanatisme et l’aveuglement et, à partir de là, tout, absolument tout est imaginable. Vous dirais-je à quel point il m’a été facile d’imaginer ce qui s’est passé dans les avions détournés, le peu d’efforts que j’ai dû faire pour visualiser l’indicible horreur dans laquelle ont été plongés ces milliers de femmes et d’hommes, coincés dans les tours gigantesques, dévalant dans l’obscurité, les flammes et la fumée les milliers de marches avant d’être engloutis dans le béton et l’acier en fusion. Comme l’immense majorité des habitants de cette terre, ce pauvre monde qui n’en finit pas de vomir ses flots de victimes expiatoires, comme vous, je suis scandalisé, choqué et compatissant envers celles et ceux qui, tout là bas dans le nouveau monde, pleurent l’époux, la femme, le fils ou la soeur disparue. Mais il ne faut pas s’en tenir à ces émotions, il va bien falloir, aussi, enfin, se mettre à penser, à penser réellement, penser en profondeur et trouver, chacun pour soi et, peut-être, collectivement la ou les voies qui pourraient nous conduire vers un peu plus de lumière, un rien plus de bonheur et d’insouciance; je crois que nous la méritons bien. Quel chemin prendre, vers quoi se tourner, je n’aurais pas le front de donner ici la moindre directive; je peux seulement témoigner de ce qui m’arrive, à moi, homme parmi les hommes vivant ici et maintenant, assis, ce soir devant le clavier, cherchant les mots. Je peux seulement dire que j’ai rencontré ce Phyrron, né à Elis, en Grèce il y a siècles de celà et que cette rencontre commence à porter ses fruits et que ces fruits poussent en moi et me transforment. Se transformer, sentir en soi le changement, petit à petit poser sur les choses un regard radicalement différent, ne plus se fier aux seules sensations, se déprendre et douter de la réalité de tout, saisir, enfin, que changer de regard c’est déjà changer de vie, c’est, plus justement, arriver à la vie. Avec cette calme certitude que rien n’est plus fragile, plus aléatoire que cette vie, qui nous a été donnée et dont, pour la plupart, nous ne savons quoi faire. Quoi faire de la vie ? Rien, il n’y a rien à en faire, il ne s’agit que de la vivre, cette vie, chaque instant de cette vie qui est peut-être le dernier. Nous sommes comme l’eau qui s’écoule et l’ironie philosophique, comme le dit Marcel Conche, n’est que la transposition de l’ironie même des choses, de l’ironie du réel.





Aucun commentaire: