lundi 9 février 2009

8 mars 2003

Il y a une chose qui me console des contrariétés de tous ordres qui s’obstinent à vouloir m’empoisonner la vie, c’est l’arrivée du printemps. Il m ‘est arrivé souvent, ici, les habitués de notre belle émission s’en souviendront, d’évoquer cette saison, qui est à mes yeux la plus belle et la plus à même de me donner le courage d’affronter certains matins de langueur et de vague à l’âme. Dimanche dernier, j’ai fait une brève incursion à la campagne, j’ai marché pendant quelques heures le long de sentiers qui bordaient des pâturages désertés par les gros ruminants qui m’inspirent, depuis toujours, une tendresse particulière, j’ai déambulé dans des petits bois, en marchant lentement à l’affût des moindres signes, le ciel était encombré de beaux et lourds nuages qui laissaient passer, par moment, quelques rayons de soleil. Quelques oiseaux, dérangés peut-être par ma présence, ont manifesté leur irritation par des chants et des envolées soudaines au sommet des arbres, mais, pour le reste, il régnait là un silence qui ressemblait à une promesse, comme si la nature retenait son souffle dans l’attente de cet évènement immémorial: le retour de la vie. Au bout des branches des arbustes, des bourgeons infimes pointaient, presque intimidés de leur audace me semblait-il et je devinais, à l’abri des troncs d’arbres imposants et bien plus vieux que moi, le frémissement de la sève montant à l’assaut des cimes. Ce miracle, qui passe aux yeux de beaucoup pour une banalité parmi d’autres, revêt à mes yeux bien plus qu’une évidence liée à l’ordre naturel des phénomènes. Il y a là, outre le côté poétique que j’y vois, quelque chose qui a à voir avec le symbole, avec la conscience qui va en s‘affirmant de plus en plus de ce que la Nature, le tout de la Nature et pas seulement la nature naturelle de ce monde, constitue le mystère absolu, la seule vraie question qui demande la seule vraie réponse aux innombrables interrogations que se posent les hommes depuis qu’ils savent qu’ils sont des hommes et qu’ils possèdent le langage pour formuler ces questions. Pour beaucoup, aujourd’hui encore, derrière ou avant la création, il y a une Présence, une Volonté; il y a Dieu. Auquel on prête le pouvoir et les attributs de la création de la Nature, ici comme dans cet infini du là-bas du cosmos, Dieu dont on veut aussi qu’il soit attentif à sa Création, à commencer par la plus réussie de ses créatures: l’Homme. Vous, moi, le Président Bush, Adolf Hitler, Joseph Staline, Copernic, Sébastien Bach, mon père, Claude Chabrol, les hommes, enfin, et les femmes, bien entendu,: Catherine de Médicis, Cléopâtre, Marie Curie, Margaret Thatcher, Brigitte Bardot et celles qui ont croisé ma route et ont disparus. Mais il semble qu’il y ait un problème: cette créature aimée entre toutes par son créateur est d’une espèce bien singulière. Elle construit des cathédrales et des bûchers, elle chante des cantiques sublimes et des marches militaires, elle écoute Chopin d’une oreille et ferme l’autre aux cris des suppliciés des chambres à gaz; et Dieu laisse faire. Il y a eu Auschwitz et les enfants jetés vivants dans les fours et c’est loin d’être un détail. Après Auschwitz Dieu n’est plus possible et ce n’est pas moi qui le dit. Mais je ne peux qu’être d’accord avec cette affirmation. S’il n’y a pas Dieu, alors qu’est-ce qu’il y a ? Il y a la Nature, avec un “n” majuscule. Il n’y a, au sens d’Etre, que la Nature, le Tout de la Nature, le reste, tout le reste, nous y compris, ne faisons que passer comme un éclair ou une étoile filante. Nous faisons un petit tour de quelques années et puis nous disparaissons, laissant derrière nous quelques regrets, quelques livres, des oeuvres de plus ou moins grande importance. La Nature, elle, est là de toute éternité, elle n’a pas commencé en tel lieu ou à tel moment, elle est l’infini qui englobe le temps et l’espace, elle sera encore là quand nous auront disparus, elle est la pure et ineffable beauté. Et le printemps, ici, sur cette terre, n’est très certainement pas le seul printemps et, ailleurs, d’autres créatures sont émues et joyeuses quand le premier merle chante.



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