dimanche 8 février 2009

25 novembre 2000

Vous avez certainement entendu parler de ce médicament miracle, qui aurait pour effet, à ce qu'on dit, de prévenir, chez les plus malheureux d'entre-nous, les mauvaises pensées suicidaires; ce nouveau produit qui porte le joli nom de FEPALCON 500 est en réalité un canular puisque, au lieu de pilules, l'emballage, qui ressemble à s'y méprendre à n'importe quel emballage de produit pharmaceutique, renferme en réalité des barres de chocolats qui seront distribuées prochainement, je le suppose, à la sortie des écoles, dans les cinémas, qui sont, comme nul ne l'ignore, des lieux forts prisés par les futurs suicidés, dans les bureaux et les usines, histoire de mettre du baume au coeur de ceux qui sont tentés par le désespoir. Je crois utile de rappeler qu' on se suicide beaucoup plus en Wallonie qu'ailleurs dans notre charmant pays et que Liège est la ville du sud la plus touchée par cet étrange et inexplicable phénomène; chaque année, des dizaines de plus ou moins jeunes se font sauter le caisson ce qui est une image forte qui cache en réalité le fait que, de nos jours, les gens prenant de plus en plus de médicaments, essentiellement des machins dans le genre calmants et somnifères, les pharmacies des particuliers sont largement pourvues de produits dont un plus ou moins savant mélange suffit pour passer sans douleur de vie à trépas. Pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir de dépressifs dans leur entourage, reste les bonnes vieilles méthodes, qui ont fait leurs preuves, la corde pour se pendre, dans les bois de Seraing, par exemple, fort prisés par les amateurs; le saut dans la Meuse du haut du pont des Arches ou de la Passerelle piétonne, nettement plus pittoresque; il y a le gaz, nettement plus dangereux pour les voisins, qui ont le droit de ne pas avoir envie de mourir en même temps que vous et qu'il vaut mieux prévenir quelques jours à l'avance afin qu'ils puissent prendre leurs dispositions, en quittant les lieux, par exemple; on n'oubliera pas le concours de la compagnie des chemins de fer qui mettent de solides engins à la disposition des candidats à l'écrabouillement mais qui ont l'indélicatesse de réclamer aux familles des désespérés les frais occasionnés par le geste de leur défunt, retards des trains, déplacement des secours et des fonctionnaires de la police et du parquet, etc, etc... Bref, on se suicide pas mal dans nos contrées et le plus drôle, si j'ose dire, c'est que les psychologues et autres spécialistes des tréfonds de nos âmes en sont toujours à évoquer les sombres tourments intimes, la mésentente des parents ou je ne sais quel traumatisme ancien et évidemment refoulé pour expliquer l'acte fatal par lequel des jeunes de tous les milieux et de toutes conditions en finissent avec la vie; une manière comme une autre de décréter que le suicidé est un malade et que son geste constitue une anomalie ou une incongruité et qu'il s'agit donc de lutter contre ce fléau. C'est oublier un peu vite que les adultes et les vieux se suicident aussi et surtout, c'est faire abstraction de facteurs liés aux rigueurs de la vie sociale, auxquels nous sommes tous soumis mais de manière très inégale, selon que l'on soit beau, riche et en bonne santé ou laid, pauvre, largué et malade. Pour prendre un exemple, essayez donc de vous mettre dans la peau de ce pauvre type, grand patron d'un puissant syndicat, qui a vu les locaux de son organisation envahi l'autre jour par deux à trois cents personnes venues là dans l'intention de les occuper, ces locaux, pour manifester leur solidarité avec une poignée d'ouvriers et délégués syndicaux exclus de ce même syndicat et de surcroît poursuivis par la justice pour avoir eu le front de se battre avec un acharnement jugé par elle excessif pour permettre que des centaines de leurs camarades puissent, comme on dit, conserver leur emploi ce qui, effectivement, arriva. Devant la scandaleuse intrusion de ces énergumènes et craignant pour sa sécurité et son intégrité physique, le grand patron du puissant syndicat jugea plus prudent de faire appel à la police bruxelloise afin de déloger manu-militari les trublions. Voilà un type menacé par le remord et la déprime, un type à qui le FEPALCON ferait le plus grand bien.

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