jeudi 12 février 2009

4 juin 2005

Le peuple souverain a tranché: C’est non. Un non “franc et massif” comme le disait le Général de Gaulle, un non sans équivoque aucune, un non qui ressemble bien à ce qu’un commentateur écrivait dans les heures qui ont suivis le dépouillement, un “mai 68” des urnes. Un non qui claque comme une gifle à la figure de ceux qui, tous bords confondus, ont crus que l’on pouvait indéfiniment se moquer du monde avec cet applomb méprisant qui est la marque des élites, ici comme ailleurs. Et si, dans une chronique précédente, j’ai pu vous donner l’impression que la campagne qui a précédé le référendum de dimanche dernier m’amusait plus qu’elle me passionnait, c’est que je n’en n’étais que le spectateur et que mes avis ou prises de positions ne pouvaient en aucune manière influer sur l’issue d’un scrutin duquel je n’étais pas partie prenante. Maintenant que les choses ont pris la tournure que vous savez et avec les conséquences qui en découlent, je m’autorise à vous livrer mon sentiment sur cette affaire, édifiante à plus d’un égard. Il est bien clair - et vous l’aurez constaté aussi bien que moi - que la question Européenne, cette histoire de traité constitutionnel, n’a été que l’occasion, pour les français, de manifester avec force la défiance dans laquelle ils tiennent désormais l’actuel chef de l’Etat et son gouvernement, vaguement replâtré en vue des prochaines échéances électorales et seulement dans cette perspective. Ce qui est apparu avec force au soir du scrutin du 29 mai, c’est la distance, le fossé vertigineux qui sépare la classe politique dans son ensemble et ceux qui font les frais et qui payent chaque jour d’avantage l’impéritie et l’aveuglement de ceux qui sont sensés veiller au bien être commun. La fameuse question sociale que l’on croyait enfouie sous l’apparente futilité d’une société tout entière tournée vers le clinquant et le paraître, cette question qui n’a toujours pas reçu de réponse, revient à l’ordre du jour de façon éclatante. Et que la construction Européenne connaisse aujourd’hui un coup d’arrêt, qu’elle soit passée au deuxième plan des préoccupations de nos voisins n’a, non plus, rien de bien étonnant. C’est que, en ce domaine aussi, on a bien senti combien est énorme la distance qui sépare les citoyens de l’Union et les institutions européennes avec leurs commissaires qui prennent des mesures, imposent des directives qui s’ajoutent aux contraintes et difficultés quotidiennes que subissent un nombre grandissant de citoyens, privés de repaires, démunis devant l’injustice et la cruauté d’un marché qui, de plus en plus, veut s’imposer comme le seul recours et l’ultime et indiscutable réalité, à laquelle il serait vain et futile de vouloir s’opposer. Je vois dans le non français la preuve éclatante que cette prétention peut être battue en brêche et qu’elle l’a été effectivement; je vois dans le rejet du traité constitutionnel par la France d’en bas, celle du petit peuple, un signe, une amorce de contestation de cet ordre des choses que l’on nous présente encore et toujours comme immuable et nécessaire. Il y a dans ce non, une forme de la poésie qui nous dit qu’il y a dans le monde autre chose que l’argent, les banques, la bourse, les sicavs, les actions ou les bons du trésor. Je vois dans le rassemblement et la fête de dimanche soir, Place de la Bastille, comme une bouffée d’air frais, le souffle d’un printemps qui m’en rappelle un autre, qui est resté dans les mémoires, quoi qu’on ait pu faire pour en étouffer le souvenir. Oui, les gens dansaient et chantaient, s’embrassaient et riaient, pendant que sur les plateaux de télévisions, les énarques et les chefs de partis discutaillaient et se chamaillaient sur des questions désormais sans importances. Il y a dans ce non un oui joyeux et tonique, un oui à la vie débarrassée de cela qui l’encombre et la nie. Ce non est un rayon de soleil dans la grisaille, un éclat de rire, une promesse, le signe de la main d’un homme à un autre homme dans la foule anonyme...





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