lundi 9 février 2009

1er mars 2003

La question est de savoir s’il faut se laisser aller au désespoir ou non. S’il faut balancer le téléviseur sur le trottoir ou continuer à prendre des nouvelles du monde, ce monde qui dispense les images de sa lente et inexorable agonie. Ce monde où s’agitent et gesticulent les diplomates et les généraux, les soudards et les militants des causes perdues, les artistes et les sans domiciles fixes, les amants en mal d’amour et les masses atomisées et sans repères. Vais-je me laisser aller au désespoir ? Non. Il y avait, l’autre soir à la télé, ce beau petit film de Cédric Klapisch “Chacun cherche son chat”, qui, l’espace d’une heure, m’a réchauffé l’âme, qui en avait bien besoin. Car, voyez vous, tout le problème, c’est d’en arriver à faire se concilier en nous les multitudes d’impressions, de sentiments, d’émotions qui, quoi que fassions, nous gagnent et nous envahissent, simplement parce que nous sommes des humains et que nous possédons cette faculté singulière et constitutive de notre humanité qui fait que nous participons, à des degrés divers, à la vie et à l’histoire des autres. Nous ne pouvons être indifférent et détaché de ce qui arrive ou n’arrive pas à autrui; que ce soit dans la réalité des périls ou dans les images d’une vie d’un quartier de Paris avec la chaleur, la connivence, les douces complicités entre gens de tous âges et de toutes conditions, nous sommes reliés les uns aux autres par des fils d’épaisseurs variables et ce sont ces cordelettes qui, lorsqu’elles se nouent entre deux êtres, font que l’amour puisse s’épanouir et aussi, hélas, quand les noeuds se défont, que l’amour laisse la place à l’absence irréparable. Nous sommes cela, d’étranges créatures debouts sur leurs membres postérieurs, avec un cerveau extraordinairement développé qui permet, tout aussi bien, de concevoir des oeuvres d’art et des édifices qui traversent les siècles et des machines monstrueuses qui sont capables, en quelques secondes, de les détruire et, en même temps de mettre fin à toute vie sur la surface de ce globe qui roule dans l’infini de la Nature, de l’espace et du temps. Nous avons des mains pour caresser une épaule, pour enlacer et apaiser, pour écrire la grandeur de l’amour, pour signer des traités de paix ou des déclarations de guerre, des mains pour saisir le couteau ou le revolver, des mains pour se refermer et devenir des poings pour frapper. Nous avons une bouche pour dire je t’aime et pour chanter les beautés de la vie et une même voix pour cracher les pires injures et en appeler au meurtre et à la vengeance. Et nous devons, nous ne pouvons que vouloir ne pas nous accommoder de cette évidence, de cette fatalité immémoriale. C’est à chacun, dans un effort et une volonté qui doivent s’affirmer chaque jour qui passe, de prendre la mesure de l’absolue liberté qui est en lui d’agir ou non dans le sens indiqué par la morale la plus haute et par la raison, qui ne vont pas l’une sans l’autre. Ni l’une ni l’autre ne vont de soi; la raison, nous devons y tendre de toute notre volonté, nous ne sommes pas nés raisonnables mais nous avons à le devenir; quant à la morale, elle n’est pas venue dans l’ordre des choses par hasard, il a fallu que des hommes la fonde, qu’elle ait valeur universelle et qu’elle soit valable pour le plus lointain avenir. Cette morale nous dit très simplement ceci: développez votre imagination par rapport aux actes que vous posez chaque jour et dites-vous: ce que je fais là ou ce que je me prépare à faire est-il compatible avec les valeurs de cette morale, pourrais-je supporter que l’on me fasse, à moi, ce que je m’apprête à faire à cet autre, qu’il me soit connu ou non, proche ou lointain mais homme, comme moi et, à ce titre, méritant le respect, les égards et l’amour que je veux que l’on me porte parce que, simplement, c’est bien ainsi. Quand un chef d’état, s’apprête à donner l’ordre à ses bombardiers d’entrer en action et de semer la mort parmi les femmes et les enfants qui sont, par nature, innocents au sens plein du terme, il se place en marge du principe élémentaire d’humanité, il renie la morale au nom de laquelle il prétend agir.


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